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12 janvier 2020 7 12 /01 /janvier /2020 17:21

Référence : Michel Onfray Grandeur du petit peuple, éditions Albin Michel, 384 pages, janvier 2020
 

     

Tiens donc, voilà un intello qui défend le mouvement des gilets jaunes sans restriction, un peu seul dans le cénacle des penseurs de notre époque.
Certains ont parlé à leur propos de jacquerie comme ces révoltes  qui éclataient soudain, ravageaient tout sur leur passage comme un ouragan et s’éteignaient autant sous les coups du pouvoir que de leur absence de véritables objectifs.

 

Si la révolte des bonnets rouges n’a guère été qu’un feu de paille, réaction épidermique aux prétentions du pouvoir, celle des gilets jaunes fut d’une autre nature. Face à une classe politique qui ne représente plus qu’elle-même, ils se sont érigés  en alternative à la pratique actuelle qui crée une césure entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux sur lesquels il s’exerce, ce que Michel Onfray appelle le peuple et l’élite.

 

  

 

Position binaire si l’on veut, qui s’appuie sur l’image de la barricade, de deux camps qui s’affrontent, l’un représentant le peuple et l’autre les forces répressives à la solde de l’élite au pouvoir. Et de prendre franchement parti : « Je ne crains pas de dire que j'ai choisi le camp du peuple contre le camp de ceux qui l'étranglent. »

    

 

Il rappelle cette belle phrase de La Boétie, le pote à Montaigne : «Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres ! », qui doit devenir le crédo d’une gauche vraiment populaire.

 

    

 

Voici, avec son style inimitable, ce qu’il en dit :
Pour salir et discréditer le mouvement des gilets-jaunes, « le pouvoir a utilisé les moyens les plus déloyaux, mépris, mensonge, déconsidération… mais aussi leur a fait un procès en immaturité, « trop bêtes, trop provinciaux, trop incultes, trop illettrés, trop débiles, trop "beaufs", trop sous-diplômés, presque "affreux, sales et méchants". »

 

Les dominants, depuis Maastricht en 1992, « discréditent quiconque ne souscrit pas à l'Europe libérale », ceux qui récusent le rôle moteur de l’Union européenne dans le libéralisme économique et la marche à la mondialisation.  
« Le système maastrichtien a son clergé, énarques, polytechniciens, futurs dirigeants des grands corps formés dans le moule de l’idéologie libérale » qu’ils régurgitent par la suite. [1]

 

   

 

Il n’a nulle confiance en ce clergé comme il dit, qui pervertit le cœur du système : « Comme les sophistes grecs, cette caste peut soutenir n'importe quelle cause parce que leur formation met le paquet sur la forme, rien que la forme, tout sur la forme, et qu'elle se contente pour tout fond de l'idéologie dominante. Ces gros cerveaux de compétition sont ceux de petits perroquets. »

 

     
Onfray et Marcel Gauchet                             Onfray avec sa femme Dorothée

 

Michel Onfray pose le problème des rapports entre la démocratie représentative et la démocratie directe, la propention de la première à remettre en cause les valeurs de la seconde comme on a pu le constater avec la Constitution européenne "repêchée" après l'échec du "oui" au référendum ou l'abandon du nouvel aéroport de Nantes sans tenir compte du référendum local qui avait pourtant voté en faveur du projet à une large majorité.

 


Michel Onfray devant l’église St-Étienne le Vieux de Caen en 2016

 

Il reproche aussi au système de très mal représenter les plus défavorisés comme les Gilets jaunes en réduisant par exemple le référendum à la portion congrue ou en ayant la haute main sur le découpage électoral.
En fait, le pouvoir a peur de la démocratie directe. Pour lui, rien ne vaut de se frotter au terrain, on y apprend beaucoup de choses. La première revendication des Gilets jaunes par exemple, que l'on peut lire dans un document-tract concerne justement ce thème : « Nous voulons de la démocratie directe à tous les niveaux... »

Ce tract qui résume les revendications des Gilets jaunes est plus que ça, les grandes lignes d'un programme, « la feuille de route de la démocratie directe. » [2]

 

 

Notes et références
[1] Grands corps d’État, et aussi selon Onfray, « haute administration, université, journalisme, édition, direction des médias, conseil d'État, sans oublier la politique politicienne qui est le prolétariat de ces gens-là. »
[2] Huit points ressortent de ce cahier de doléances :
1-  Rétablissement  de l’ISF
2- Taxer le carburant avions et bateaux comme les voitures et baisser la taxe TICPE sur l’énergie domestique
3- Hausse des salaires et SMIC à 1600 € net
4- Supprimer la CSG sur les retraites
5- Aucune retraite en-dessous de 1400 € net
6- La Sécurité sociale à 100% et pour tous
7- Abroger le CICE qui sert surtout aux grandes entreprises
8- Taxer les grandes fortunes pour financer la transition écologique.

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11 janvier 2020 6 11 /01 /janvier /2020 14:24
La suite romanesque et picaresque de "Au-revoir là-haut" et de "Couleurs de l’incendie"

Référence : Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines, éditions Albin Michel,  544 pages, janvier 2020

       
                                       Pierre Lemaitre et Sandrine Bonnaire

La petite Louise, qui avait assisté Albert et Édouard dans leur arnaque aux Monuments aux morts dans le tome I Au revoir là-haut, est maintenant âgée de 30 ans. Nous sommes en avril 1940, à la veille de la fin de la « drôle de guerre » et de l’invasion allemande du 10 mai 1940 qui va précipiter la France dans la débâcle et l’Occupation.
C'est ainsi qu'il voit la débâcle : « Confusément, cet autobus apparaissait à tous ses occupants comme une métaphore du moment. 

Pendant que le pays prenait l'eau de toutes parts, ce véhicule aveugle avançait vers une destination inconnue dont personne n'était certain de revenir, en se frayant un chemin pénible entre les files de Parisiens affolés qui tous se sauvaient dans la même direction. »
C'est ainsi que sur la couverture du livre, on peut voir gens et véhicules qui s'enchevêtrent dans une course folle, une fuite désordonnée devant l'envahisseur. 


        
La trilogie intitulée "Les enfants du désastre", t1 et t2


Au début du récit, elle court nue sur le boulevard du Montparnasse, à peine cachée par un manteau ensanglanté. Portant, rien ne semble expliquer un tel comportement. Elle est devenue institutrice et donne un coup de main le week-end au restaurant de Monsieur Jules à Montmartre. Là, on parle beaucoup de la Drôle de Guerre, on spécule, on échafaude. Mais personne n’a vu venir le sauve-qui-peut général. Surtout pas Louise Belmont qui, à partir de l’étrange et terrible proposition du docteur Thirion, va aller de surprise en secrets de famille.

.  
La trilogie t3


Accompagnée du fidèle Monsieur Jules, Louise se retrouvera sur les routes et remontera le cours de sa propre histoire dans une France saisie de panique. Et elle découvrira que cette guerre traîne, comme toujours, son cortège contrasté de héros, de braves types, de paumés et de salopards et, comme disait Jules Romain, quelques hommes de bonne volonté.
Pierre Lemaitre est un fin connaisseur des passions françaises qui se cristallisent dans cette période noire de pagaille et de panique d’un peuple déboussolé par les événements, qui va rapidement déboucher sur l’Occupation.

Il utilise là tout les registres qu’il manie avec maestria, le secret de famille, les rebondissements, mélangeant avec talent burlesque et tragique.

    
Gary Shteyngart et Pierre Lemaitre

On trouve par exemple Raoul Landret, un militaire qui escroque l'armée mais qui n'hésite pas à détruire un pont pour ralentir l'avance des allemands ou à sauver un camarade ou également Désiré Migault, roi du changement d'identité, qui travaille pour le service de la censure, type de l’arrivisme, parangon du mensonge, parfaitement adapté à ces temps de déliquescence où la vérité est décidément hors la loi.



On sent bien la volonté de l’auteur de faire des liens entre l’époque qu’il met en scène et notre époque, cet avocat par exemple qui demande aux jurés de ne pas écouter « la voix de la populace qui condamne aveuglément »
Mais il s’abstient de trop appuyer le trait et met simplement en perspective ces deux époques, ces deux France qui s’affrontent. On se retrouve comme placé dans un ensemble panoramique qui s’étire dans ces temps incertains où l’éthique n’est plus qu’un slogan.



Mes fiches sur Pierre Lemaitre :
*
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 -- Trois jours et une vie --
* Au revoir là-haut -t1- Couleurs de l'incendie t2 --

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11 janvier 2020 6 11 /01 /janvier /2020 14:14
             

Référence : Érik Orsenna, Briser en  nous la mer gelée, éditions Gallimard, collection Blanche, 464 pages, janvier 2020 

« Kafka avait raison, un livre doit être une hache pour briser en nous la mer gelée… L'amour, c'est pareil. » Érik Orsenna



Une histoire de coup de foudre ? Bof, direz-vous, rien de très original. Dès lors, tout va aller très vite : le lendemain, Gabriel demande Suzanne en mariage. Mais coup de foudre ne veut pas dire longévité. Malgré ce qui les lie, les vieux démons de leur vie précédente ressurgissent.

    

Pour réagir, il leur faudrait oser. Ce sera le divorce prononcé en octobre 2011 par la juge Anne Bérard, du TGI de Paris. Le fil conducteur du roman est une longue lettre qui lui est adressée pour la remercier car, tout en appliquant la loi, elle exprime sa conviction qu'« elle sentait en eux beaucoup d'amour ».
Gabriel, la mort dans l’âme, décide de s’exiler dans le Grand Nord où il se sent en communion avec ces étendues gelées. C’est alors qu’il va recevoir un message de Suzanne. Et tout va être remis en question.

Elle lui écrit : « Je sais que tu vas t'embarquer pour une traversée risquée. Alors je voulais que tu saches que je t'ai aimé ». Sur ce, elle débarque. Ils partiront donc ensemble en direction du détroit de Béring, vers les îles jumelles Diomède, l'américaine et la russe, où se situe la ligne de changement de date… pour mieux surfer sur le Temps sans doute !
     

Le détroit est comme un symbole géographique reliant, dit-il dans une interview, deux continents, l'amour étant aussi défini comme une géographie. Dans son roman Longtemps publié en 1998, Orsenna présentait déjà des amants qui se fuient et se retrouvent, les élans du corps et la géographie et qui vont s’apercevoir que la seule réalité, c’est le temps.  

La géographie, les espaces contrasté de la planète,  c’est sa préoccupation, son domaine, celui de L’archipel des mots et de l’île du subjonctif, celui de l’avenir de la faune et de la flore qu’il développe à travers les quatre tomes de son Petit précis de mondialisation. [1]« Le fou de géographie que je suis, dit-il dans une interview, avait envie de tisser dans ce roman une relation entre la géographie, le climat et le sentiment. »

        
La série Petit précis de mondialisation

Entre chaud et froid

Il est sûr que l’art, surtout la musique et la littérature, nous permet de dépasser nos défenses, de peser sur la part de froid qui est en nous, de mieux exprimer notre part de chaleur.
Pour lui, un mariage est réussi quand les oui l’emportent sur les non. Un chapitre de son roman s’intitule d’ailleurs « La ronde des oui et des non », le mariage étant une remise en cause constante.

Le froid participe au grand système climatique de notre planète et au "petit" fonctionnement des sentiments humains. « Je suis passionné par ces articulations, dit-il. Ce roman d’amour est aussi un livre de géographie, puisque la géographie est précisément la science des interactions et des différences d’échelles. »
 « Les histoires servent à s’y tenir au chaud, ajoute-t-il. Chaud ou froid, c’est selon mais affirme-t-il, « jamais tièdes… L’amour est décidément le premier territoire à explorer, et le plus difficile. »




Notes et références
[1] La série Petit précis de mondialisation comprend : Voyage aux pays du coton, L’avenir de l’eau, Sur la route du papier et Géopolitique du moustique -


A voir également :
* Mon site Éric Orsenna

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11 janvier 2020 6 11 /01 /janvier /2020 14:04
Référence : Gérard Mordillat, La Brigade du rire, éditions Albin Michel, août 2015
        

Mordillat, on aime ou on n’aime pas. Il ne s’embarrasse pas de périphrases et fait sienne cette citation d’Antonin Artaud :« J’ai deux ou trois dents contre la société actuelle. »


 J’ai encore en tête le superbe roman qui l’a fait connaître au grand public, Les vivants et les morts, l’histoire de ces ouvriers qui vont lutter jusqu’au bout pour la survie de leur entreprise et donc pour leur propre survie. Je pense aussi à Xénia et sa copine Blandine, ces beaux portraits de femmes qui dans leur lointaine banlieue, font partie des laissés-pour-compte.   

La Brigade du rire est de la même veine, il conjugue  imagination débridée et combat social dans une farce enlevée qui contient quelques beaux moments de rigolade mêlés de spleen et de mélancolie.

    

S’il existe une littérature de résistance, à la mondialisation comme à la montée de l’extrémisme, et à la bêtise en particulier, ce sont bien ses romans. Et son roman, La Brigade du rire, représente bien à travers ses personnages et ses aspects ludiques, cette littérature d’engagement. 

        

Une bande de vieux copains qui se remettent avec difficulté des rêves évanouis de leur jeunesse, se retrouve sous l’impulsion de l’un d’eux pour renouer avec le passé et vivre une cure de jouvence. 
Dans la bande, Il y a Kowalski, dit Kol et Betty, licenciés de leur entreprise, Rousseau, le beau gosse toujours fringant et devenu prof d'économie, Dylan prof d’anglais et poète qui voudrait bien écrire leur épopée mais n’y parvient pas... 

On trouve aussi les jumelles Dorith et Muriel qui voudraient bien faire de leur vie une fête permanente, celui qu’on surnomme L’Enfant-Loup, coureur et bagarreur, Suzana, infirmière en psychiatrie, Hurel, un industriel qui n’a pas abandonné ses idées anarchistes, Isaac le rouquin, distributeur de films, et Victoria que personne n’attendait, compagne du seul membre de la bande qui soit décédé…

     

Ils voudraient bien dépasser la critique du libéralisme évoluant vers la mondialisation mais il ne savant pas trop comment… et pendant leurs retrouvailles, leur vient une idée qu’ils vont rapidement mettre en application. Cette idée naît de la lecture d’un édito de Pierre Ramut, dans le magazine ultralibéral Valeurs françaises. 

Ce type, selon leurs critères, est le symbole même de ce qu’ils veulent dénoncer, un type qui défend la semaine de 48 heures, un salaire de 20% inférieur au smic, le travail du dimanche. Leur idée : se constituer en "Brigade du rire", enlever Pierre Ramut et le faire travailler selon ses préceptes, dans les conditions qu’il destine aux ouvriers. Pour cela, ils l'enferment dans un ancien bunker transformé en atelier et l'installent devant une perceuse à colonne où il doit produire six cents pièces à l'heure...  
Au moins, Ramut, l’éditorialiste vedette de Valeurs françaises, saura désormais de quoi il parle…

     
                                               Gérard Mordillat et Jérôme Prieur


Pendant toute l’opération, on patauge dans le tragi-comique, tragique de ces vies déchirées où chacun a eu son lot de difficultés et de malheur, comique d’une situation improbable. Ce qu’ils veulent dénoncer, à travers le cas Ramut qui n’est qu’un symbole de la dérive d’une société qu’ils supportent de moins en moins, une presse au service des puissants, un monde ouvrier sans illusions coincé entre le chômage et le silence, jusqu’à la scène finale qui se situe bien dans la logique de l’évolution que montre du doigt Gérard Mordillat.

    
Dans cette fresque où le drame affleure à chaque éclat de rire, Gérard Mordillat nous donne sa vision du monde actuel, ceux qui s’en servent ou les initient, ceux qui luttent avec leurs moyens qui sont souvent dérisoires, les plus motivés qui refusent la soumission et renvoient au rire formidable qui est représente leur ultime bras d’honneur.

Mes fiches sur Gérard Mordillat :
* Les vivants et les morts - Xénia - Ces femmes-là - La brigade du rire -
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10 janvier 2020 5 10 /01 /janvier /2020 23:15
Référence : Alexandre Postel, Un automne de Flaubert, éditions Gallimard, collection Blanche, 144 pages, janvier 2020

  
Gustave Flaubert vers 1865      Flaubert, sa maison de Déville-lès-Rouen


« Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. » Baudelaire

En 1875 : à cinquante-trois ans, Gustave Flaubert traverse une grave crise de conscience, une espèce de burn out dirait-on maintenant. Ruiné et dominé parle chagrin, il se sent incapable d’écrire une ligne et se sent comme fini.



il faut dire qu'il semblerait que le sort se soit acharné sur lui. Quand il arrive en septembre 1875 pour la seconde fois de sa vie dans le port breton, son moral est au plus bas, il est devenu obèse et se sent entraîné par son pessimisme naturel. Autour de lui, les décès se succèdent, c'est d'abord sa mère et son grand ami Bouilhet, puis des écrivains comme Jules de Goncourt, Théophile Gautier et Ernest Feydeau, tous ces amis qui lui rendait la vie moins ennuyeuse et qui partent si vite.

   
« A son entrée dans Concarneau, Flaubert crève de sommeil et de faim. »  

De plus, sa nièce Caroline, dont il assume la charge depuis qu’elle est orpheline, le cause des soucis, mariée à un négociant dans l'industrie du bois, dont les affaires périclitent. Il voudrait lui venir en aide mais lui-même n'a plus guère de revenus.
Alexandre Postel le décrit alors comme un homme  « à l'œil morne, sa moustache tombante, son teint congestionné et l’affaissement de ses chairs qui lui donnent l’air tout à la fois d’un vieux cabotin et d’un boucher, autrement dit d’un homme usé par un travail répétitif auquel il ne croit guère. »

                                           Concarneau côté océan

Pour soigner cet état déplorable de prostration, il décide d’aller passer l’automne à Concarneau en Bretagne où un ami dirige la station de biologie marine. Pendant deux mois, il s’adonne aux bains de mer, se balade le long de la côte, s’imprègne des paysages et des hommes qui y travaillent.

Dans ce contexte et l’air vivifient de l’océan, l’envie d’écrire revient peu à  peu. Dans sa chambre d'hôtel, il commence à écrire un conte médiéval assez féroce, pour se forcer à écrire de nouveau, pour se tester.
Il va lui falloir reprendre l'écriture, retrouver ce goût particulier de la plume qui court sur le papier et ce sera bientôt La légende de Saint Julien l’Hospitalier, pour un recueil qui connaîtra le succès, Trois contes.

   
Saint Julien l’Hospitalier, fresque de Ghirlandaio (détail)


Flaubert récuse tout sentimentalisme, il ne peut se résoudre à ces élancements et s'est toujours voulu maître de lui-même car paradoxalement «  la sentimentalité excessive qu’il porte en lui le terrifie » et il sait très bien que « c’est l’écueil où ont sombré presque tous les écrivains de sa génération. »

À partir d'éléments biographiques, Alexandre Postel a imaginé le cheminement de Flaubert dans son isolement relatif, la façon dont il est parvenu à surmonter ses difficultés personnelles pour se dépasser et se remettre à écrire, ce qui aurait pu s’appeler suggère Alexandre Postel : «  Gustave terrassant le dragon de la mélancolie. »

      
Sa nièce Caroline       Flaubert par M. Winoch   Flaubert et Maupassant

Somme toute, Alexandre Postel nous donne à lire un roman audacieux et très réussi qui s'appuie sur un important travail documentaire très intéressant. On peut aussi apprécier sa volonté d'imiter le style de Flaubert, même si elle n'est pas forcément du goût de tout le monde.

Voir aussi mes fiches
* Gustave Flaubert en Bretagne --
* Le perroquet de Flaubert --
* Flaubert, de Déville à Croisset --

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10 janvier 2020 5 10 /01 /janvier /2020 23:09
  Daniel Pennac en 2018

« Écrire, c’est respirer, imposer un ordre esthétique (lié à notre propre cohérence) au chaos du monde. » Daniel Pennac

Son rapport l’écriture

Le cancre qu’il était a fini par  devenir un grand lecteur car la lecture fut pour lui un refuge, à une époque où on lui interdisait de lire. Puis, devenu professeur, il a fait apprendre par cœur des textes à ses élèves pour « les apprivoiser, se constituer une bibliothèque mentale qui n’est que matière à de futurs actes et créations. »
Il voulait que la lecture devienne pour eux une nécessité.



L’écriture est pour lui aussi une nécessité, autant de réminiscences à sa propre vie, même s’il les juge involontaires, un besoin d’expression qui a quelque chose à voir avec le rêve. L’important est également de garder le cap sans trop se poser de questions car « rien ne peut jamais marcher si l'on songe à tout ce qu'il faut pour que ça marche. »

     
« Si vous voulez vraiment rêver, réveillez-vous. »
Daniel Pennac


Ses personnages surgissent des traits de ses amis, « souvent romanesques en eux-mêmes » ou aussi de ses lectures : « Malaussène, par exemple, est né d’une lecture de René Girard. Mais les personnages sont peu de chose, des éléments de la phrase : « leurs noms apparaissent de manière à construire un rythme, à produire un effet. C’est le texte qui est vivant, pas eux. »

Cette fois, Daniel Pennac s’interroge sur les liens flous, imprécis entre l’esprit rêveur et l’acte d’écrire. Finalement, sa vocation trouve peut-être son fondement dans sa capacité à rêver. [1] Après une chute accidentelle qui le plonge dans le coma, l’auteur de la saga Malaussène explore ce monde où imaginaire et réalité ont tendance à se confondre, avec comme référence un hommage appuyé à Federico Fellini. [2]


« Nous sommes l'enfant de notre corps. » Daniel Pennac

Quelle part peut bien avoir le rêve dans l’écriture se demande Pennac ? Son point de départ est une citation de Federico Fellini, pour qui il a une tendresse particulière, en exergue de chaque chapitre. 

Pour lui, « dans la vie, il existe deux types de rêves : les rêves clos qui n'ouvrent sur aucune aventure de récit au réveil, et les rêves ouverts, à partir desquels on peut tirer un fil narratif et laisser à notre imagination la liberté de continuer jusqu'à plus soif. » En somme, des visions nocturnes qui peuvent avoir un prolongement quand l’esprit vagabonde pendant la journée.

   

Revenons à Fellini, car ce livre outre son parcours onirique, est aussi un hommage au grand cinéaste italien dont il écrit que « les rêves de Fellini sont directement cinématographiques comme ses films sont parfois oniriques. »

Les rêves, il se les approprie comme un matériau, comme souvent les romanciers pour qui tout peut devenir objet de fiction, « il arrive que … des êtres chers qui sont autour de vous au quotidien, qui sont très nombreux car je mène une vie tribale, envahissent mes rêves et viennent m'annoncer des nouvelles qui n'ont rien à voir avec la réalité mais qui peuvent m'inspirer des récits. »  

Cette disposition d’esprit est aussi importante pour la littérature enfantine qu’aime beaucoup Pennac, par exemple dans sa série Kamo. [3]



Il l'exprime ainsi clairement dans une interview : « Je citerai l’incroyable concentré de pertinence que représente la définition du réel par Lacan : " Le réel, c’est ce qui cloche ! " Ce qui implique que toutes les créations, aussi folles soient-elles, sont autant de tentatives pour rétablir l’ordre du monde... Tout acte de création, même né de la cervelle particulièrement désordonnée d’un Antonin Artaud, vise à remettre de l’ordre dans le réel ».

   Daniel Pennac et Juan Miro

Il évoque la relation entre le rêve et la fiction. Pour lui, le rêve ne souffre aucun temps mort, « tout y est image et sensation, le suspens à l’état pur », un matériau dont le romancier peut user en toute liberté. 

Son objectif, précise-t-il, était d’atteindre "le comble du suspens", un livre où les événements seraient  séparés de l’action et prendraient leur source dans la sensation. Un roman où "le tout est possible" tient le lecteur constamment en haleine, comme dans la vie où l’avenir est un ensemble de possibles dont seulement certains vont se réaliser.


Notes et références
[1] « Le rêve est pour moi le ferment de l’imagination. Il se déclenche sans nous demander notre avis, nous plonge dans les situations les plus échevelées… Une fois la lucidité revenue, je me sens autorisé à les transformer à mon gré, à nourrir mes romans de ces fragments d’inconscient. »
[2]
Fellini fut un grand rêveur, il notait ses rêves et les dessinait car il fut aussi dessinateur. Son ouvrage, Le Livre de mes rêves, représenta une source d’inspiration importante pour ses films.

[3] Les aventures de Kamo : t1 L'idée du siècle, t2 Kamo et moi, t3 L'agence Babel, t4 L'évasion de Kamo. On peut aussi ajouter Cabot-Caboche, L’œil du loup et Le roman d'Ernest et Célestine.

Voir aussi
* Un amour exemplaire --
* Mes fiches : Journal d'un corps, Mon frère et La loi du rêveur --

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2 janvier 2020 4 02 /01 /janvier /2020 20:51
L'exposition intitulée "Dans l'Intimité du génie"

 

La Maison de Victor Hugo est située dans un appartement de la Place des Vosges, dans un immeuble qui est l’ancien hôtel de Rohan-Guéménée. Victor Hugo y a vécu de nombreuses années, un peu plus de 15 ans entre 1832 et 1848. Sa visite permet une belle immersion dans le quotidien de cet immense écrivain et l’occasion de découvrir l’intérieur d’un appartement bourgeois de cette époque. 

      
L'art d'être grand-père, avec Jeanne & Georges

Cette exposition est le point d’orgue de la réouverture de la Maison de l’écrivain à l'été 2020 pour admirer l’ensemble après les grands travaux qui ont permis de lui redonner tout son lustre.

Il y écrivit plusieurs œuvres importantes dont Lucrèce Borgia, Ruy Blas, Marie Tudor, ainsi qu’une grande partie des Misérables. La table de travail surélevée sur laquelle il écrivait (toujours debout comme à Guernesay) est l’un des objets les plus emblématiques de l’appartement qui se présente  en forme de « L » et composé de sept pièces en enfilade.

  La table aux quatre encriers [1]

Après son départ en 1848, l'appartement a connu plusieurs transformations qui rendent difficiles d'en reconstituer le cadre d'origine, comme la disparition des couloirs et du balcon donnant sur la place. De même, la dispersion des biens de la famille Hugo en 1852 ne permet pas d'en reconstituer fidèlement le mobilier. 


   Le salon chinois

Paul Meurice, ami et exécuteur testamentaire de Victor Hugo, va créer avec la ville de Paris  le musée et ses collections qui ouvrira ses portes en 1903 à l'occasion du centenaire de la naissance de Victor Hugo. La collection se compose de dessins de l'écrivain, de photographies, de manuscrits, d'éditions...

   La bibliothèque

Le musée possède actuellement quelque six cents dessins de l'écrivain comme des paysages, des dessins satiriques, des caricatures, et la bibliothèque ne compte pas moins de onze mille ouvrages sur la vie et l'œuvre de Victor Hugo.

   
 Caricature de Victor Hugo                   Le salon

L'antichambre présente sa jeunesse, les premières années de son mariage avec Adèle Foucher et le salon rouge évoque son séjour place Royale (anciennement place des Vosges) à travers des tableaux et documents divers et permet d'admirer son buste dû à David d'Angers.

Le salon chinois et les deux pièces suivantes sont centrés sur l'exil de 1852 à 1870 avec présentation de son séjour à Hauteville House sur l'île de Guernesey et des photographies de la famille prises par son fils Charles Hugo et l'ami Auguste Vacquerie pendant son exil à Jersey entre 1852 et 1855.

     La salle-à-manger

Le salon chinois  a été l'occasion pour Victor Hugo d'exercer ses talents de décorateur. Il est entièrement décorée de "chinoiseries" illustrant les thèmes de sa maitresse Juliette Drouet, qui l'avait rejoint dans son exil à Guernesey, et qui habitait auparavant rue Sainte-Anastase dans ce quartier du Marais, tout près de l’actuel Musée Picasso.

     
Le cabinet de travail                             L'antichambre


L'avant-dernière salle est consacrée au retour de la famille à Paris en 1870, après la chute de Second empire et ses dernières années dans l'appartement de l'avenue d'Eylau à partir de 1878, à travers le mobilier d'origine.
La dernière salle reconstitue la chambre mortuaire de l'avenue d'Eylau, à sa mort en 1885.
La chambre à coucher était tendue d’une soie de couleur rouge. Pièce essentielle, le lit de style Louis XIII à colonnes torses, venait presque jusqu’à la cheminée. 

 
Son buste par Rodin                              Le salon rouge


L’ensemble assez chargé comprenait aussi une petite cheminée de marbre blanc avec un dessus de soie à festons, une pendule, deux chandeliers et un grand meuble à deux corps, où Victor Hugo  enfermait ses manuscrits. Vers la fenêtre se trouvait le haut bureau à écrire debout, avec les feuilles de Whatman, un plat encrier de Rouen à petit goulot avec une plume d’oie et  une soucoupe pour sécher l’encre encore fraîche.

  L'appartement de la place des Vosges

Victor Hugo recevait chez lui les grands écrivains de son temps. On pouvait ainsi y croiser Honoré de Balzac, Lamartine, Alexandre Dumas, Sainte-Beuve, Prosper Mérimée, Alfred de Vigny ou encore Théophile Gautier qui venaient volontiers au 6 de la place des Vosges

Outre son œuvre, il eut un rôle social considérable, surtout comme défenseur de la liberté de la presse, partisan de l’abolition de la peine de mort, militant pour les droits des femmes... 


Buste de Victor Hugo      Salon de l'avenue d'Eylau


En complément : autres demeures parisiennes
Parmi les résidences parisiennes de Victor Hugo, de celles qui subsistent, on peut citer :
- le 37 rue de la Tour-d'Auvergne (aujourd'hui au 41). De fin 1848 au coup d'État qui précipita son exil, Victor Hugo logea au premier étage de ce bel hôtel à la rotonde donnant sur un jardin, au bas des pentes de Montmartre. Juliette logeait non loin, rue Rodier.
- Quand il rentra d'exil dix-neuf ans plus tard, son ami Paul Maurice l'hébergea au rez-de-chaussée d'un hôtel particulier au 5, avenue Frochot.


    
Son écritoire                   La chambre de la rue d'Eylau (reconstituée)


Notes et références
[1]
Victor Hugo a composé en 1860 La table aux quatre encriers pour une vente de charité organisée par sa femme pour des enfants pauvres de Guernesey. Elle demande à son mari, George Sand, Alexandre Dumas et Alphonse de Lamartine de lui faire don de leur encrier. Lamartine envoie une petite boîte de verre pour le séchage de l’encre et George Sand ajoute un briquet. Chacun accompagne son envoi d’un autographe. Mais l'ensemble ne trouva pas d'acquéreur et c'est Victor Hugo qui l’acheta.


Mes fiches sur Victor Hugo
* Victor Hugo à Jersey et Guernesey --
* Max gallo Biographie de Victor Hugo --

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<< Christian Broussas, Maison d'Hugo 02/01/2020 © • cjb • © >> 

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31 décembre 2019 2 31 /12 /décembre /2019 15:45
  
 « Je n’écris pas pour les historiens. Je fais attention à ce que la torsion de l’Histoire ne soit pas incompatible avec ce que je suis et avec ma morale. » Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, auteur de polars avant de devenir un romancier reconnu… et prix Goncourt, ce n’est pas banal.
Il a grandi entre Aubervilliers et Drancy, avec des parents employés et de gauche. Il est toujours resté fidèle à ses premiers engagements. Sa conscience sociale, c’est d’être un des parrains du Secours populaire, ayant réalisé à Reims un documentaire pour Arte sur le quotidien des plus démunis et sur l’action d’un bénévole, ajoutant dans une interview : « J’aime la justice sociale, on en est loin. L’injustice sociale, on est en plein dedans. ».

     

Dans un roman datant de 2006, il expose clairement son projet en reprenant une phrase de Roland Barthe: « L’écrivain est quelqu’un qui arrange des citations en retirant les guillemets ».  Dix ans plus tard dans son roman "Trois jours et une vie", il précise : « Je me reconnais volontiers dans le commentaire de H. G. Wells dans sa préface à Dolorès : " On prend un trait chez celui-ci, un trait chez cet autre ; on l’emprunte à un ami de toujours, ou à quelqu’un à peine entrevu sur le quai d’une gare, en attendant un train. On emprunte même parfois une phrase, une idée à un fait divers de journal". Voilà la manière d’écrire un roman ; il n’y en a pas d’autre. » Pas d’autres, ça se discute mais en tout cas, on voit très bien comment il procède, ce que font effectivement beaucoup de romanciers.

           

Pour lui, il n’existe pas de genres littéraires, pas de romans noirs, policiers, historiques, sentimentaux, rien que des romans. Même quand il écrit une histoire policière, il respecte scrupuleusement les codes du genre mais au fond, précise-t-il, « mais au fond, mes outils narratifs sont les mêmes que pour écrire un roman historique. » Les catégories ne servent qu’aux journalistes et aux enseignants mais le romancier, lui, écrit simplement des histoires.

      

Pour Pierre Lemaitre, il existe trois sortes d'auteurs. Ceux qui savent nous accrocher et que le public aime le plus, ceux qui possèdent un style personnel, ont des lecteurs fidèles et la faveur de l'Académie Goncourt et des pédagos et ceux plus rares qui ont à la fois un style inimitable et rendent le lecteur "accro" à leur romans. Seuls ces derniers font en quelque sorte l'unanimité de des profs, des Goncourt et du public.  

 

Il aborde ensuite le rôle sociétal des romans qui ne lui semblent pas jouer de rôle déterminant dans les grands changements sociaux mais il croit beaucoup plus au rôle de la littérature pour faire bouger les choses. Ne serait-ce « qu’en permettant aux lecteurs d’élargir leur vision du monde. » Même s’il n’a pas à la fois s de message à faire passer, il tient à dire qu’il « n’avance pas masqué et n’importe qui en me lisant peut se rendre compte des valeurs dont je suis porteur. »

Pour ses personnages féminins, la démarche est la même. Ce sont souvent des personnages composites, la cantatrice par exemple est le produit de caractères communs aux divas. Avec Madeleine Péricourt, «  j’ai voulu montrer une femme résiliente. » Tous ses romans contiennent ce genre de femmes fortes capables d’affronter toute les adversités.  

  

Madeleine est aussi une femme que la vie a gâtée avant  de la confronter à une vie plus difficile. C’est aussi une femme prête à desserrer le carcan qui contraint les femmes à cette époque, même celles qui sont les plus favorisées comme Madeleine, « elle est banquière mais n’a pas le droit de signer un chèque ! » précise-t-il. Et elle ne va pas en rester là : « elle accède à une conscience de classe, elle s’ouvre au monde, acquiert une conscience politique. »Il y a aussi dans ses romans des femmes comme Léonce, désirables et émouvantes, rarement heureuses en amour, « » dit-il.

       

Il fait sienne la phrase de Jean-Paul Sartre qui disait que « L’argent n’a pas d’idées. » Il aime les liens entre les années 30 et notre époque, la fraude fiscale qui sévissait alors, l’argent planqué en Suisse et les politiques qui juraient qu’ils allaient y mettre bon ordre alors qu’aujourd’hui rien n’a changé.

Ça lui a beaucoup plu de présenter la naissance de la technologie, « des hommes nouveaux qui ressemblaient terriblement aux anciens, Comme aujourd’hui, on nous avait promis un monde nouveau, une véritable révolution… »   

Il ne se sent pas le droit de jouer avec l’Histoire. Avoir une position morale est important car sinon, pourquoi ne pas nier la réalité de l’Holocauste. Son souci est donc de concilier la morale et l’Histoire, ce qu’il nomme « la torsion de l’Histoire » et la compatibilité avec sa morale.

  

En complément : La trilogie Les enfants du désastre
« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. »
Bien après sa trilogie "policière" avec le commissaire Verhoeven, Pierre Lemaitre entame une nouvelle trilogie sur la période de l'entre-deux-guerres, qu'il nomme Les enfants du désastre. Le désastre en question est bien sûr celle de la Grande Guerre et de ses conséquences, vu à travers les destins de la famille Péricourt et des amis d'Édouard Péricourt, gueule cassée, Albert Maillard son compagnon d'infortune dans les tranchées ou la jeune Louise, héroïne du dernier tome.

Au revoir Là-Haut, c'est l'histoire d'une arnac aux monuments aux morts, la France après 1918 se couvrant de ce genre de monuments qui attirent la spéculation.
Couleurs de l'incendie est l'histoire de la vengeance de la vertueuse Madeleine qui ruinée, parviendra à remonter la pente et à ruiner son beau et méchant ex mari, dans ces "couleurs de l'incendie" qui brûlera la France en 1940.
Miroir de nos peines met en scène la petite Louise qui a 30 ans en 1940, période où se déroule ce dernier volet de la trilogie.


   
Édouard Péricourt, gueule cassée, et son masque


Notes et références
[1] Marcel Péricourt et ses deux enfants, Édouard et Madeleine ainsi que son futur gendre Henri d’Aulnay Pradelle.


Mes fiches sur Pierre Lemaitre :
*
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 -- Trois jours et une vie --
* Couleurs de l'incendie t2 --
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<Christian Broussas, Lemaitre Interviews 29/12/2019 © • cjb • © >
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31 décembre 2019 2 31 /12 /décembre /2019 15:23
Ils n’étaient pas faits pour se rencontrer mais la guerre a redistribué les cartes. Édouard Péricourt est fils de la haute bourgeoisie, dessinateur fantasque, homosexuel, rejeté par son père), « Le ravin qui séparait Édouard de son père lui était toujours apparu comme une donnée géologique, établie dès l’origine des temps, comme si les deux hommes avaient été deux continents placés sur des plaques différentes, qui ne pouvaient se rencontrer sans déclencher des raz de marée. »

   

Albert Maillard est avant-guerre un petit comptable issu d’un milieu modeste, une mère assez pénible et surtout une chouette fiancée, « Madeleine avait remarqué ce trait chez ce garçon, cette crainte permanente qu’arrive quelque chose dans son dos, cette perpétuelle appréhension; dans le cimetière, l’an dernier, il semblait déjà égaré, désemparé. Avec cette expression de douceur, de naïveté des hommes qui ont un monde à eux. »

 
Albert Dupontel dans le rôle d’Albert Maillard
 
Mais ils furent aussi deux poilus confrontés à la terrifiante réalité des tranchées.

Leur rencontre a lieu à la fin de la guerre, 9 novembre 1918, quand un jeune officier, le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, par arrivisme lance une ultime offensive meurtrière et inutile. Mais Albert a compris la manœuvre et  Henri d’Aulnay-Pradelle  veut s’en débarrasser en le précipitant dans un trou d’obus. Édouard Péricourt parviendra à sauver son camarade et ils se retrouveront tous les deux démobilisés, sans ressources et rejetés par le corps social. Le traumatisme de la guerre  a fait d’Édouard une gueule cassée et d’Albert un paranoïaque.

                        
                                       Le masque d'Albert et la jeune Louise


Beaucoup de Français veulent tourner la page de la guerre, le temps des héros est terminé. Vient alors le temps des combines et des arnacs, la volonté de gagner beaucoup d’argent le plus vite possible et par tous les moyens. Henri d’Aulnay-Pradelle va s’y employer si bien qu’il parviendra à épouser Madeleine Péricourt, sœur d’Édouard et fille du  richissime Marcel Péricourt.

      
             Émilie Dequenne & Niels Arestrup (le père & la fille Péricourt)

Face à ce nouveau cynisme qu’ils constatent, face à Henri d’Aulnay-Pradelle  qui utilise les grands moyens pour développer un énorme trafic de transferts de tombes des soldats enterrés à la va-vite, Édouard et Albert vont mettre au point leur propre système d’arnac, assez simple mais efficace, consistant à proposer la vente de monuments aux morts qui vont obtenir un beau succès… mais fictifs. Ils voguent, avec Louise une jeune fille qui les a rejoints, sur le patriotisme de l’immédiat après-guerre en savourant leur vengeance avec plaisir et même un arrière-goût d’anarchisme.

    
                                          Monument aux morts 14-18 


À travers les péripéties de ces protagonistes, on assiste à l’évolution rapide de la société française dans l’immédiat après-guerre et les conséquences du traumatisme national que fut ce conflit, en particulier la déliquescence des valeurs morales. Les gagnants semblent bien être les plus malins… et les moins honnêtes, Édouard et Albert bien sûr mais surtout Henri d’Aulnay-Pradelle, ses séides et tous ceux qu’il parviendra à acheter.

   Le langage des tranchées

Mais rassurez-vous, le tome II remettra le beau et prestigieux (et très méchant) Henri d’Aulnay-Pradelle à sa place qui est au ban de la société, non pas sur des valeurs morales réactualisées mais sur une épreuve de force où l’argent va jouer un rôle moteur.

  Albert Dupontel & Laurent Lafitte        

Le contexte historique
Pour ce qui concerne le trafic de cercueils, qui fut une réalité historique, Pierre Lemaitre s’est appuyé sur étude de Béatrix Pau parue dans la Revue historique des armées. Après le succès de Au revoir là-haut, une nouvelle édition remaniée a été publiée sous le titre Le ballet des morts (État, armée, familles : s'occuper des corps de la Grande Guerre).

Après la guerre, beaucoup de familles ont voulu "récupérer" les corps de leurs proches morts à la guerre mais l’État n’y est pas favorable. Cependant, un nombre toujours plus important de familles passent outre par des moyens détournés, viols de sépultures, rapatriements clandestins, l’État oscillant dans cette affaire entre prévention et répression. Situation confuse donc jusqu’à ce que l’État finisse par légiférer par la loi du 31 juillet 1920 qui prévoit que désormais les frais de transfert autorisé des corps de soldats morts seront à la charge de l’État.

       
Mes fiches sur Pierre Lemaitre :

*
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 -- Trois jours et une vie --
* Au revoir là-haut -t1- Couleurs de l'incendie t2 --

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<< Christian Broussas, Lemaitre Goncourt 30/12/2019 © • cjb • © >>
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28 décembre 2019 6 28 /12 /décembre /2019 14:04

Référence : Catherine Hermary-Vieille, Louves de France, éditions Albin Michel, 272 pages, octobre 2019
 

           
 

J’avais lu en 2012 un autre roman historique de Catherine Hermary-Vieille consacré aussi à des femmes, celles de thermidor, les Merveilleuses, centré sur Joséphine de Beauharnais et Thérésia Tallien ( née Thérésia Cabarrus), l'un des "tombeurs" de Robespierre, celle que justement on surnomma "Notre-Dame de Thermidor".

 

Il est vrai que Catherine Hermary-Vieille a un vif intérêt pour l’Histoire avec des ouvrages comme « La marquise des ombres », « Les dames des Brières » et « Le crépuscule des Rois » ou encore « George Sand, les carnets secrets d’une insoumise », « D’or et de sang » et « Moi chevalier d’Éon, espionne du roi ».

 

 


Cette fois , nous remontons plus loin dans l'histoire, à une époque où se scelle le destin de la France qui, au cœur de la Guerre de Cent ans va toucher le fond pendant la régence de la reine Isabeau de Bavière puis remonter peu à peu la pente sous l'impulsion de Yolande d’Aragon et l'épopée de Jeanne d'Arc.


Pauvre "roi de Bourges", pauvre Charles VII qui, sans "ses" femmes, celles que Catherine Hermary-Vieille appelle "les louves de France", n'aurait sans doute été qu'un roi sans grande ambition ayant baissé les bras devant la fracture du pays et l'envahisseur anglais.

 

      
Merveilleuses                            La trilogie Le crépuscule des rois

 

Sa mère, Isabeau de Bavière, a été contrainte en 1420 de signer le traité de Troyes au profit du roi d’Angleterre, suite à la défaite d'Azincourt cinq ans auparavant et à la folie du roi Charles VI. Le royaume n'a jamais été plus divisé et la guerre fait rage entre les deux factions des Armagnacs et des Bourguignons.

La situation semble désespérée : Isabeau qui dirige le conseil de régence, décide de s'allier aux Bourguignons et de reconnaître Henri V d'Angleterre comme héritier du trône de France au détriment de son fils, le dauphin Charles...

 

            
 

Par contre, sa belle-mère Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou et comtesse de Provence, s'évertue à redonner son lustre à sa couronne.Elle va introduire auprès du roi Charles VII une toute jeune femme, une bergère prénommée Jeanne qui se révélera une sacrée meneuse d’hommes et réussira à faire sacrer à Reims Charles VII.
Ces "louves de France" vont largement influencer l'avenir de La France et de la dynastie des Valois et nous entraînent dans les derniers remous de la guerre de Cent Ans.

   

On entre également dans les arcanes du pouvoir, les nombreuses intrigues de cour, les luttes sans merci entre factions françaises qui favorisent les prétentions anglaises et permettent de mieux appréhender le déroulement de la guerre de  Cent Ans. On comprend mieux le rôle prééminent des femmes au sommet de l’État et les jeux diplomatiques compliqués qui s'élaborent dans cette partie de l’Europe.

 

     
 

Voir aussi
* Louise de Savoie, la louve --

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<< Christian Broussas, Louves de France 27/12/2019 © • cjb • © >>
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