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20 septembre 2019 5 20 /09 /septembre /2019 13:24

                

 « Aujourd’hui je suis raisonnablement heureuse. » Joyce Carol Oates

Un livre implacable sur un thème actuel : le drame de l’avortement qui déchire ici l’Amérique. Il s’agit, selon le Washington Post du «livre le plus important d’Oates ». Peut-être…  En tout cas, il sera en bonne compagnie avec des ouvrages comme Bellefleur, Eux, Blonde, Nous étions les Mulvaney, Maudits, J’ai réussi à rester en vie.

 Une puissance, écrit un critique, et une énergie sans cesse renouvelées, malgré ses 81 ans… et le prix de Jérusalem pour "la liberté des individus dans la société".

Elle a réussi dans tous les genres : romans, nouvelles, poésie, essais, théâtre, livres pour la jeunesse… sans doute une centaine d’ouvrages.

       

 Un appétit d’écrire, « sans doute parce que j'attends toujours d'écrire LE livre qui restera, confiait-elle à Télérama en 2014. Mais je crois que le nombre importe peu, et qu'il faut prendre chaque livre comme une entité indépendante des autres. (…) À chaque ouvrage,  j'explore un nouveau mode d'expression. Un roman est toujours un monde en soi, peu importe que ce soit le troisième ou le vingtième. Certains pensent que j'ai une personnalité multiple. Je crois que je n'ai pas de personnalité du tout. Je suis transparente. J'observe, j'absorbe, et tout ressort dans mes livres. »

Lors d’une interview de Laure Adler en 2012 à l'Université de Princeton, New Jersey, elle se confie sur la perte de son mari  Raymond J. Smith et le journal qu’elle a consacré à sa disparition. « J’étais très seule, je n’étais pas sûre de vouloir continuer à vivre, je ne pouvais pas imaginer l’avenir, je ne pouvais pas penser au lendemain, j’avais besoin de ce journal, je ne pouvais pas écrire un roman car pour écrire un  roman, il faut se projeter dans l’avenir… Le publier a été "complètement thérapeutique". »

          

Pour elle, « écrire est un acte de communication », ne serait-ce qu’à la suite de la publication de son journal intitulé J'ai réussi à rester en vie, elle a reçu de nombreuses lettres de femmes qui avaient aussi vécu la perte de leur compagnon ? Cette expérience traumatisante a été marquée par une période de déprime, si bien qu’elle estime aujourd’hui être "raisonnablement  heureuse".

Dans son Journal, on découvre une femme heureuse parvenant avec les années à trouver un équilibre, écrivant des heures entières dans son appartement, entourée de son mari, Ray Smith, vivant avec lui un "amour amical". Elle aime aussi beaucoup enseigner, côtoyant sur le campus de Princeton des collègues qui comptent parmi les plus connus des écrivains américains comme John Updike, Norman Mailer, Philip Roth, ou le prix Nobel Saül Bellow

 

       
Joyce Carol Oates avec son mari

 

On y découvre une femme qui brocarde les féministes, trouvant leurs pensées assez simplistes, celles du bien contre le mal, des femmes contre les hommes, estimant que la révolution sexuelle a été un désastre et qu’elles ont « un désir de réduire tout le monde à la féminité. »  

Une femme que les écrivains-penseurs exaspèrent, pour qui Freud n’a rien compris à la mélancolie,  qui pense que Kierkegaard « est prétentieux », que Paul Valéry et Rilke « peuvent être considérés sous certains aspects comme des individus assez ridicules ».  Elle est toujours dans le doute, ressent fortement « la précarité » des choses et se retrouve dans cette devise de Platon : « Une vie à laquelle l'examen fait défaut ne mérite pas qu'on la vive. »

Reste  l’écriture : « L'art passe en premier, doit passer en premier, et tout le reste est groupé autour, y est subordonné (...) Rien d'autre n'est permanent, rien n'est transcendant, en dehors de l'art. » Mais en fait, l’écrivain ne maîtrise rien et « l'esprit souffle où il veut… »

 

      

Voir aussi 
* Littérature auteure --

<< Christian Broussas – Oates, Martyrs, 19/09/2019 - © • cjb • © >>

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20 septembre 2019 5 20 /09 /septembre /2019 13:18
Référence : Irène Frain, Secret de famille, éditions Jean-Claude Lattés, 1989
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 Dans ce roman, « Irène Frain, écrit la critique Anne Pons de l’Express, sait prendre son temps pour amonceler les prémices d’un otage qui déchaînera les passions et dénudera les caractères. Elles montrent les troubles de l’âme et la réalité sociale et historique sans caricature. Elle a à la fois l’intensité dramatique et la nostalgie légère qui fait pressentir la force du destin. »
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La magie du récit par Irène Frain
« Ce roman est né d’une rencontre à la fois exaltante et douloureuse. À dix-huit ans quand je me suis mariée, j’ai découvert un pays magnifique : Le Val-de-Loire… Moi la femme venue d’un pays de granit, j’ai succombé au charme étrange de ses falaises creusées dans la craie friable du tuffaut… Et j’ai découvert aussi la face maléfique de ce pays faussement paisible, dans le spectacle d’une famille qui se déchirait.
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J’ai vu des fils renier leur mère, des sœurs menacer physiquement l’enfant de leur frère pour la possession d’un service de petites cuillères… Moi qui n’étais dans ce pays qu’une étrangère –comme mon héroïne Marthe- je me suis dit : "Un jour j’écrirai ce que j’ai vu. Je ferai un roman de ces histoires d’héritage, je mettrai en scène ces rapaces du XXè siècle, prêts à interner leur mère pour faire main basse sur ses biens. Je raconterai la rumeur, les lettres anonymes, la calomnie, la haine. Je ferai un roman de Loire comme il y a des vins de Loire, chaleureux mais toujours un peu âpres…"
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Puis Il y eu un déclic : la découverte par un ami d’un carton à photos bizarrement caché dans un faux-plafond. Ce carton à photos racontait une histoire. Celle d’une famille… unie par le sang mais désunie par les héritages, les propriétés, les mésalliances. Sous ces clichés jaunis, se cachait un secret de famille... Je suis allée à la recherche des mystères de son fondateur, le meunier rancunier et terrifiant que tous nomment le Grand Monsacré, qui règne en patriarche sur ses terres et ses moulins, j’ai interrogé des notaires de province, des historiens de la France rurale et bourgeoise.
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Enfin, j’ai inventé Marthe, l’étrangère, "l’accourue" comme on dit ici, la femme… qui à force de patience, de ruse et de silence, se bâtit une fortune, affronte tous les combats, contre sa belle-famille, contre la rumeur, avant de rencontrer la bataille la plus impossible à mener, aux heures les plus noires de l’Occupation : celle qui l’oppose à son propre fils. 
 
    
« Je n'ai jamais changé, je suis simplement devenu vraiment moi-même. »

 
Mais Marthe a deux qualités qui, à mes yeux, effacent tout le reste : elle est volontaire et tenace. […] Qui d’entre nous ne s’est pas un jour senti étranger à ce monde en découvrant la haine, la bassesse… La seule chose qui puisse alors nous réconcilier avec la vie, comme Marthe, c’est la beauté de la nature. »
 

Sept règles pour écrire
 

Comment décrire cette forte personnalité qu’est Marthe ? Elle est faite d’une étrange beauté, elle doit tout arracher à la vie, la réussite, l’amour, le plaisir. Dans le roman, c’est son petit-fils qui deviendra le célèbre violoniste Lucien Dolhman, qui n’a pas vraiment connu sa grand-mère et va découvrir à la faveur d’un héritage un carton, espèce de boîte de Pandore plein de révélations.

      

Voir aussi 
* Le roman historique : l'article sur le roman d'Irène Frain intitulé Les naufragés de l'île Tromelin --
* Lou : l'histoire d'une jeune femme insaisissable et de son suicide --


<< Christian Broussas – Frain Secret, 19/09/2019 - © • cjb • © >>

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6 juin 2019 4 06 /06 /juin /2019 13:59

Référence : Delphine de Vigan, Les gratitudes, éditions Jean-Claude Lattès, mars 2019

 

      
                                Lors de son prix Renaudot en 2015

« Un roman d'une rare puissance sur les dettes morales et ces liens invisibles qui nous gouvernent. » Le Figaro

 

Les gratitudes, ces petits riens si importants qui constituent l’un des fondements essentiels des sentiments humains, ce qui est en nous et qui restent constamment intactes.
Dans la lignée de son précédent roman Les Loyautés, Delphine de Vigan se coltine ici à un thème si difficile, ponctué parfois de références autobiographiques, qu'elle s’efforce de traiter avec  une dose de légèreté et  d'humour suffisante pour éviter de tomber dans le mélo.


Une histoire de gratitude croisée entre Michka et Marie, de la part de Michka aussi, qui voudrait retrouver ceux qui l’ont sauvée pendant l’Occupation.   

 

    

 

On a parfois du mal à établir un lien entre le portrait de telle personne  dans tout l’épanouissement de sa jeunesse et la personne qu’on a en face de soi, la personne telle qu’elle est aujourd’hui. Entre ces deux corps qui n’en forment pourtant qu’un, rien ou presque ne semble les relier, sauf peut-être un port de tête, une mimique, un geste pris comme dans un instantané, entrevus au détour d’une réaction.

 

Michèle Seld, qu’on appelle Michka, peut de moins en moins rester chez elle, être autonome car pour elle, le diagnostic est simple, un mot tombe : aphasie. C'est Marie, une aide à la personne qui va lui dégotter une place dans une maison de retraite. C’est un grand cœur Michka mais les mots ne suivent plus. Elle pense un mot et il en vient un autre, les consonnes et les voyelles se mélangent et ça donne de drôles de combinaisons, un mot pour un autre ou qui tombe impromptu, sans lien avec le contexte, du genre : « Franchement, compte-tenu des circonflexes, une petite cigarette, ce ne serait pas du fluxe. » Non, ce n’est du verlan, c’est du Michka.

 

   

 

Heureusement, Marie est là, qui fait ce qu’elle peut avec ses tonnes de tendresse à dispenser, aidée de Jérôme, l’orthophoniste qui l’écoute, qui prend le temps et tente de retarder l’inéluctable. Il possède une vision très haute de son travail, disant : « Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l'absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d'un prénom, d'une image, d'un parfum. Je travaille avec les douleurs d'hier et celles d'aujourd'hui. Les confidences. Et la peur de mourir. »

 

  

 

Si c’est « Un roman tendre et attachant » comme aiment à l’écrire des critiques comme celui du Figaro, d’autres comme celui du Nouvel Obs ou Frédéric Beigbeder sont plus réticents, trouvant que le roman dégouline de beaux sentiments plus près du conte pour enfants que de la réalité, dans un univers assez idyllique.
 

Faut-il alors conforter André Gide qui disait : « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. »

 

Avec Emmanuelle Seigner

Mes fiches sur Delphine de Vigan
* Les gratitudes -- Les loyautés --
* Les heures souterraines -- D'après une histoire vraie -- 

<< Christian Broussas – Les Gratitudes - 6/06/2019 <><> © • cjb • © >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 20:48

Exposition « Goûter au paradis. Anna de Noailles et les rives du Léman »

 

        
                                          
La Maison Gribaldi

« Le lac Léman m'apportait tout, depuis ce nom d'Amphion, donné par un lointain hasard de terroir à notre rive et à notre demeure. »

 

C’est à partir de cette phrase d’Anna de Noailles que se structure l’exposition 2019 organisée dans la Maison Gribaldi. [1] « Petite fille née dans un milieu privilégié, j’ai goûté au paradis à Amphion dans l’allée des platanes, étendant sur le lac Léman une voûte de vertes feuilles… »

 

Affiches de l'exposition 

 

Anna de Noailles, comme d’ailleurs la plupart des poètes, est plutôt délaissée à notre époque. C’est oublier qu’elle a connu de son vivant une notoriété considérable pendant la Belle Époque et jusqu’aux débuts des années trente. Elle connut aussi les honneurs puisqu’elle fut lauréate du grand prix de littérature de l’Académie française et première femme commandeur de la Légion d’honneur.


  Arc votif et jardin

 

Cette privilégiée née princesse Bassaraba de Brancovan, a passé, jusqu’à la Grande Guerre, la plupart de ses étés à Amphion, près d’Evian, où sa famille possédait une grande propriété, la villa Bassaraba.

 

      
Anna et l'arc votif d'Amphion                       Différents portraits d'Anna

Moments importants pour elle puisqu’elle y a puisé une grande partie de son inspiration dans cette relation intime qu’elle avait nouée avec les rives du Léman, aussi bien du côté suisse, de Lausanne à Montreux, de Coppet à Morges, de Genève à Vevey, que du côté français, d’Évian à Thonon, de Ripaille à Yvoire.

« Étranger qui viendra,
Lorsque je serai morte,
Contempler mon lac genevois,
Laisse, que ma ferveur

Dès à présent t'exhorte,

A bien aimer ce que je vois. »

 

       

Conformément à sa volonté, son cœur a été placé au cimetière de Publier (à côté d’Évian) où elle fréquentait le couvent des Clarisses, [2] et ses amis ont créé en 1938 à Amphion (toujours à côté d’Évian), sur les lieux de son enfance, un monument et un jardin pour honorer sa mémoire.

Anna de Noailles chez Seghers

Cette année 2019 revêt une importance particulière puisqu'elle rappelle deux dons majeurs, celui de Francillon-Lobre en 1949 et le legs Anne-Jules de Noailles fait en 1979 à la Ville d’Évian-les-Bains.

 

On trouve ainsi dans l’exposition à la Maison Gribaldi la vaste collection réunie au fil des années autour d’Anna de Noailles, complétée par de nombreux prêts.

 


Anna (droite rang 2) avec les Polignac devant & Proust (au fond)

 

Elle permet au visiteur de se laisser guider à travers des objets personnels, des portraits, des photographies originales, d’ouvrages et de correspondances ainsi que des pastels que peignit Anne de Noailles à la fin de sa vie.

  
 

Notes et références
[1] Maison Gribaldi, ruelle du Nant d'Enfer, 74500 Évian-les-Bains
[2]  Que l’on retrouve dans cet extrait :
« Pousse la porte en bois du couvent des Clarisses,
C’est un balsamique relais,
La chapelle se baigne aux liquides délices
De vitraux bleus et violets.

Peut-être a-t-on mis là, comme je le souhaite,
Mon cœur qui doit tout à ces lieux,
A ces rives, ces prés, ces azurs qui m’ont faite
Une humaine pareille aux dieux.

S’il ne repose pas dans la blanche chapelle,
Il est sur le coteau charmant
Qu’ombragent les noyers penchants de Neuvecelle,
Demain montez y lentement. »

 

   

Voir aussi
* Site Comtesse de Noailles --
* Anna de Noailles en Haute-Savoie --

<< Christian Broussas – Évian Noailles- 19/04/2019 • © cjb © • >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 10:21
Référence : Marie Robert, Kant tu ne sais plus quoi faire... il reste la philo, éditions Flammarion/versilio, 176 pages, avril 2018

« La philo n’est rien d’autre que la vie réelle ! »
Marie Robert

      

Rude tâche que s’est assignée Marie Robert dans sa volonté de vulgariser les grands auteurs de la philosophie. Elle se pose la question de savoir comment décloisonner la philosophie, la rapprocher des préoccupations des gens en étant plus concret.

Pas n’importe quelle vulgarisation puisqu’il s’agit de partir de la réalité quotidienne pour y réinsérer des concepts philosophiques. C’est tout l’objet de l’essai de Marie Robert, Kant tu ne sais plus quoi faire, il reste la philo.

 

      

 

Partir du concret, c’est viser des situations comme faire un achat [1], rencontrer ses beaux-parents, cohabiter avec un ado, se faire larguer, monter sa start-up pour expliquer avec beaucoup d’humour comment les concepts de la philosophie peuvent aider à comprendre les phénomènes qui se produisent dans ces interactions.  

 

Pour agrémenter la lecture, Marie Robert a prévu des chapitres courts et des sujets variés, ce qui permet aussi de passer d’un sujet à un autre au gré de ses curiosités sans être tenu par une lecture linéaire. Même si toute tentative de vulgarisation fait grincer des dents, c’est comme "la philosophe pour les nuls" qui aurait été réussi.

 

          
Que ferait FREUD à ma place ?               Que ferait Nietzsche à ma place ?

 

Philosophie, littérature et enseignement

Marie Robert explique d’abord sa démarche par sa découverte de la philosophie : « En terminale, la découverte de la philosophie fut soudain une évidence. Tous les questionnements qui m’habitaient trouvaient désormais un espace. Le langage, la mort, le temps, la vérité, n’étaient plu s des notions d’angoisse à ignorer mais des sujets de pensée auxquels se confronter. »



On comprend bien le sens de son travail dans sa démarche initiale : « Une chose me fascinait : quel statut conférer à tous ces textes, ces romans, qui ne sont pas vrais… des histoires inventées, mais qui ne sont pas faux pour autant puisqu’ils nous permettent de saisir quelque chose sur la réalité ? »



Et de citer Madame Bovary qui pour elle représente une réflexion philosophique sur des thèmes comme l’ennui, le désir, la contrainte…. Reste à relier fiction et réalité, défi qui ne peut que passer par la pédagogie.

 

La pédagogie, elle s’y est engagée un jour en enseignant dans le seul Lycée Montessori de France avec comme défi d’être une passerelle entre les élèves et le savoir à enseigner. Puis elle a réussi à ouvrir sa propre école à Marseille pour des enfants entre 3 et 12 ans. Un parcours qu’elle qualifie « de mélange de passions, d’obsessions et de paradoxes ! »

 

           

 

Rendre les philosophes plus accessibles

Pour, comme elle dit, désacraliser les textes classiques, « il faut oser s’emparer d’un ouvrage de Kant ou de Spinoza, regarder le texte dans toute sa singularité et dans toute sa difficulté. Surtout, il faut ne pas s’en vouloir si on ne comprend pas tout ! La philo ne doit pas se couper des émotions. Pas besoin d’être philosophe pour être lecteur ! A force de lire, de découvrir, de se promener parmi ses textes, on se constitue une culture philosophique qui donne des clés de compréhension…

 

Une autre clé d’approche est de replacer les textes dans le contexte de leur époque car, dit-elle, « les philosophes s’incarnent dans une époque, dans des problématiques, dans une famille, dans une culture… » Et les philosophes ont aussi leurs affects !


Elle préconise également d’ajouter un brin de sel… humoristique, antidote contre la logique binaire d’Aristote, moyen de contester « les fondements de notre univers symbolique, il nous fait réfléchir… Rire, c’est prendre du recul et contempler le monde d’une manière inédite, audacieuse, décalée ! »

 

      Présentation sur Facebook --

 

La philosophie comme sagesse

L’approche pédagogique consiste à partir du concret pour aller vers le concept : « Pour saisir une notion, il faut comprendre comment elle s’articule dans des situations réelles, alors on en découvre la nécessité : c’est à ce moment-là que la philosophie quitte son approche poussiéreuse pour devenir une sagesse. »

 

Plus qu’uns solution clé en mains, Marie Robert se propose de nous guider pour savoir comment mieux prendre du recul et considérer telle situation sous un nouveau jour : « Boire un café avec Spinoza, c’est prendre ce temps pour penser au lieu de réagir. »

 

Puisque Marie Robert aime beaucoup le registre de l'humour, je lui dédie cette citation de Pierre Desproges : « Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question. »

 

 

Note et références
[1] Le décllc, c'est une viste chez Ikéa. Elle est angoissée de ne pas trouver ce qu'elle cherche et oppressée par la dimension du magasin. « J'étais en sanglots. Je me suis dit qu'il fallait que je trouve un moyen de me ré-ancrer et c'est là que les pensées de Spinoza m'ont aidée. » Appliquer le précepte clé du désir comme pulsion du grand philosophe est parvenu à la calmer.

 


« Si la philosophie existe, c'est qu'elle a son propre contenu. » Gilles Deleuze.

 

Voir aussi
* Marie Robert, Descartes pour les jours de doute, éditions Flammarion/versilio, 208 pages, avril 2019
* Sarah Tomley, Que ferait Freud à ma place? La psycho appliquée à mon quotidien,  éditions Hachette, février 2018

* Marcus Weeks, Que ferait Nietzsche à ma place? La psycho appliquée à mon quotidien,  éditions Hachette, février 2018
* Jean-François Marmion, Psychologie de la connerie, éditions Sciences humaines,  octobre 2018
* Mes fiches sur :
   - Denis Kambouchner, Descartes n’a pas dit, spécialiste de Descartes
   - Sarah Bakewell, Sur Montaigne --

<< Christian Broussas – Marie Robert- 23/04/2019 • © cjb © • >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 10:09

              
Sarah Bakewell

 

Référence : Sarah Bakewell, Comment vivre ? : Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse, traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat, éditions Albin Michel, 488 pages, mars 2013, gencod  9782226246936

Ce livre a reçu le National Book Critics Circle Award for Biography aux Etats-Unis et le Duff Cooper Prize for Non-Fiction en Grande Bretagne.

 

 Rappel biographique : De nationalité anglaise, Sarah Bakewell est née à Bournemouth mais a passé une grande partie de son enfance dans différents pays d’Europe puis en Australie. De retour à Londres, elle a été conservatrice au département des incunables de la Wellcome Library, publiant ses premières biographies,  puis  anime des ateliers d'écriture à la City University et travaille pour les collections de livres rares du National Trust.

 

         

 

Flaubert dit-on, donnait ce conseil à ses amis : « Lisez Montaigne, il vous calmera..., lisez pour vivre. » Sans doute, Sarah Bakewell a-t-elle suivi ce conseil qui nous donne dans ce livre la pensée de Montaigne sur des sujets aussi essentiels que le plaisir et les petits bonheurs, la peur ou la perte d’un amour… autrement dit, comment un « honnête homme » doit-il assumer sa vie ? [1] Pour Sarah Bakewell, « lire Montaigne, ce n'en est pas moins éprouver maintes fois le choc de la familiarité, au point que les siècles qui le séparent du nôtre sont réduits à néant. Les lecteurs continuent de se reconnaître en lui, » écrit-elle sous le charme de cet homme charmé par l'homme qui lui paraît « aussi vivant qu'un personnage de roman » qui regrettait que « nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vides. »

 

Sarah Bakewell insère les éléments biographiques –épisode de sa vie ou anecdote-  dans le contexte agité du XVIe siècle où il vécut, pour alimenter « ses vingt tentatives de réponse », lui qui savourait l’instant présent, [2] abordant la vie « en toute douceur et liberté sans rigueur et contrainte. » Un homme multiple, érudit philosophe et chrétien comme il se devait, homme solitaire et homme politique à la fois…

 

    

 

Question fondamentale s’il en est, sur laquelle Montaigne s’est penché tout au long de ses Essais, développant un humanisme dont il avait fait graver cette réflexion sur une poutre de sa bibliothèque : « Il est beau pour le mortel de penser à hauteur d'homme. » En discourant sur lui-même, Montaigne nous parle aussi de nous, de la beauté tragique de la condition humaine, tendant le miroir de la grande question : « comment vivre ? »

Un savoir-vivre qu’il distille par petites touches, partant de la réflexion, surtout ne jamais rien regretter, savoir user de « petites ruses », rester ordinaire et imparfait tout à gardant son humanité, philosopher « en amateur »… Le thème central de son questionnement est en effet de savoir, à chaque instant, comment mener la vie la meilleure qui soit et qu’un homme puisse atteindre.

 

             Les essais

 

Commentaires critiques

- « Si l'auteur ne perd pas de vue le fil rouge du Comment vivre ?, elle choisit de manière subjective un épisode de la vie de Montaigne ou une anecdote pour apporter sa réponse. »  Françoise Dargent - Le Figaro du 11 avril 2013

- « Le livre s'adresse à tous, ceux qui connaissent bien Montaigne comme ceux qui veulent le découvrir, mais surtout qu'il a autant de charme que de finesse et de savoir... Mieux vaut fêter cette rareté : un livre intelligent et populaire, qui ressemble à Montaigne, à force de l'aimer. » Roger-Pol Droit - Le Monde du 4 avril 2013

- « Une biographie sous forme de délicieuse conversation au travers des siècles. » The New York times

 

  « Jusqu'à quel point on réfléchit à ce que l'on dit. »

 

Notes et références

[1] Par exemple, « Ne pas s'inquiéter de la mort », «­ Réfléchir à tout et ne rien regretter », « Lâcher prise », « Être ordinaire et imparfait », « Lire beaucoup », « oublier l'essentiel de ce qu'on a lu...»
[2] « Quand je danse, je danse, quand je dors, je dors », disait Montaigne


 En complément

Référence : Antoine Compagnon, "Un été avec Montaigne", Editions des Equateurs, 170 pages, mai 2013, gencod 978-2849902448

Cet ouvrage est né d'une émission qu'Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, a faite sur France-Inter, évoquant Montaigne dans une série d'émissions estivales. En 40 chapitres, Antoine Compagnon interprète Montaigne pour un large public, à la fois drôle et clair, abordant, de la conversation à l'éducation, des thèmes chers au philosophe.

 

Voir aussi

+ Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire --
+ Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel --
+ Sarah Bakewell, Sur Montaigne -- Jean Lacouture, Montaigne à cheval --
+ Les amis de Montaigne : Se connaître à travers Montaigne
+ Un été avec Montaigne, Antoine Compagnon, Daniel Mesguich, l'émission sur France-Inter

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20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 15:32
        

 

ANNA GAVALDA ET SON ŒUVRE

C'est l'ambivalence qui caractérise le mieux l'écrivaine Anna Gavalda, encensée par les autant que décriée par les autres. Écrivaine populaire dira-t-on, qui a obtenu plusieurs prix littéraires comme le prix du Livre Inter pour La plus belle lettre d’amour, le Grand Prix RTL-Lire en 2000 pour son premier recueil de nouvelles Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part publié par les éditions Le Dilettante. Plus récemment en juin 2010, elle est lauréate du prix Tortignole pour L'Echappée belle, malgré un accueil plutôt froid de la critique.

 

             

 

D'un autre côté, elle est beaucoup critiquée, par exemple, « le génie de Gavalda consiste à mettre en scène le français moyen dans tous ses avatars, » [1] tandis que Télérama parle de ses 'travers' qui en font une romancière à part dans le paysage littéraire. On lui reproche surtout des procédés narratifs trop prévisibles, ses sujets marqués par la banalité du quotidien, l'appel à  trop de dialogues et pas assez de nuances qui affadissent l'ensemble.

 

La Consolante

La vie de Charles Balanda prend un tournant quand il apprend le décès d'Anouk, la mère d'un ami d'enfance perdue de vue depuis longtemps. Pourquoi diable cette disparition le bouleverse-t-il à ce point ? Il y a eu aussi Kate traînant son arche de Noë, au milieu de tous ses animaux. Elles semblent être les deux êtres qui aient compté pur Charles, pourtant marié, architecte reconnu mais déstabilisé par cette nouvelle qui envahie sa vie.

Ce roman se joue aussi sur le style, les recherches de l'auteure qui désoriente avec ses nombreuses phrases sans sujet, un débit vif et haché, la profusion -ou l'abus disent beaucoup de critiques- des virgules. 

Référence : Anna Gavalda, "La consolante", Éditions Le Dilettante, mars 2008, ISBN 978-2842631529

 

Je l'aimais

Le mari de Chloé est parti comme ça, subitement et c'est son beau-père qui doit venir chercher la jeune femme et ses enfants. Visiblement, ils parlent mais ne s'écoutent pas : sa douleur passe inaperçue, lui veut absolument raconter ses déboires, cette vie mal vécue avec sa femme, vivant avec elle mais pensant à une autre. Le huis-clos qui s'établit entre ces deux personnages n'est interrompu que par des parenthèses, incursions dans l'univers des grands hôtels ou dans les pays asiatiques.

        

Référence : Anna Gavalda, "Je l'aimais", Éditions Le Dilettante, 154 pages, 2003, ISBN 978-2842631529 --

Ensemble, c'est tout

Ensemble, c'est tout est l'histoire d'une rencontre : quatre personnes quelque peu paumées qui vont réussir à s'apprivoiser peu à peu et à s'aider. Ne plus quoi faire de sa vie : « - Tu fais quoi pour Noël ? - Je prends deux kilos. » « Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, écrit-elle, c’est leur connerie, pas leurs différences... »

Camille est une femme dépressive qui vit encore avec le passé, ne mange plus guère et fait quelques ménages pour survivre. Elle n'en parle pas mais ce lourd passé est toujours là et hypothèque le présent. Philibert n'est guère mieux loti, jeune aristo emprunté, enfermé dans sa passion pour l'histoire, il est atteint de bégaiement et de troubles obsessionnels compulsifs.

 

Son colocataire, Franck, est un être ambivalent, volubile et excellent cuisinier, qui ne se détend qu'avec Paulette, sa grand-mère qui se laisse mourir dans sa maison de retraite, maintenue en vie seulement par les visites de son petit-fils et les souvenirs heureux de son passé. " Paulette Lestafier n'était pas si folle qu'on le disait. Bien sûr qu'elle reconnaissait les jours puisqu'elle n'avait plus que ça à faire désormais. " C'est dans le vaste appartement de Philibert qu'ils vont être réunis et tenter de se construire un avenir car « l’Enfer, c’est quand tu peux plus voir les gens que t’aimes... Tout le reste ça compte pas... »

    

Référence : Anna Gavalda, "Ensemble, c'est tout", Éditions Le Dilettante, 603 pages, 2004, ISBN 978-2842631529


voir aussi :

  • Je l'aimais adaptation au cinéma réalisée par Zabou Breitman en 2009 et aussi adaptation au théâtre en 2010.
  • Pancol Gavalda

Notes et références

[1] Voir "Précis de littérature du XXIe siècle", Eric Naulleau et Pierre Jourde

 

 <<< Christian Broussas – Feyzin, 21 juin 2011 - © • cjb • © >>>>
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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 18:41

Référence : Maryse Condé, "Histoire de la femme cannibale", édition Mercure de France, 316 pages, collection Folio, 350 pages, 2003

 

« La vie est un manège  qui n'arrête pas de tourner. Seuls ceux qui dorment sous terre ne bougent pas de place. »

    
Avec l’écrivain haïtien  Dany Lafferrière                  Avec Jack Lang

 

Stephen, un professeur de littérature spécialiste de Yeats est retrouvé assassiné dans  une impasse du Cap en Afrique du sud. Sa compagne Rosélie Thibaudin, une antillaise peintre et un peu médium ("Rosélie Thibaudin, guérison de maladies réputées incurables") l’avait toujours suivi dans ses différentes affectations, doit apprendre à vivre sans lui dans ce pays qu’elle connaît mal et où plane les relents délétères de l’apartheid.

 

Son pays à Rosélie, ses racines, son havre, c'était lui Stephen, sa famille ne voulait pas d'elle.
« Le hasard m’a fait naître à la Guadeloupe, dit-elle... J’ai vécu en France. Un homme m’a emmenée puis larguée dans un pays d’Afrique. De là, un autre m’a emmenée aux États-Unis, puis ramenée en Afrique pour m’y larguer à présent, lui aussi, au Cap. Ah, j’oubliais, j’ai aussi vécu au Japon... » C'est pour lui qu'elle reste en Afrique du sud.
Sans doute aussi pour continuer cette recherche d'identité qui l'obsédera toujours.

 

       
Son dernier roman paru en 2018                      Après son prix Nobel fin 2018

La construction du roman est complexe, multipliant les flashbacks pour relater son enfance, ses relations familiales, la Guadeloupe, son parcours sinueux avec Stephen et son étrange rapport avec Fiéla. Cette sud-africaine est très mystérieuse, à l'origine d'une histoire de meurtre et de cannibalisme qui va passionner tout le pays. Autre histoire qui va nous dévoiler une autre facette de Stephen dont on ne sait s’il était un Stephen penseur libre et séducteur, provocateur et manipulateur.

Fiéla lors de son procès : « Le buste droit comme un i. Le visage fermé. Sans agressivité pourtant. Ses yeux incomparables étincelaient. sur le reste du visage, un masque d'indifférence était posé comme si cette agitation ne la concernait pas.  »

                   ,
Maryse Condé & ses enfants

 

Par le biais de ces histoires, Maryse Condé développe de nouveau l’un de ses thèmes favoris, la question des relations interraciales et des couples mixtes. Elle aborde aussi sans concession le problème de la violence à travers le tragique de l’apartheid qui traumatise encore l’Afrique du sud, à travers des personnages hauts en couleur, des patients, des amies, des connaissances de Stephen, qui vivent dans un pays de multicultures et de migration.

 

"Portrait d’une solitude" par Emmanuelle Tremblay (extrait)

Depuis la parution en 1976 du premier roman de Maryse Condé (née à Pointe-à-Pitre en 1937), la réception critique n'a pas manqué de mettre en valeur le parcours idéologique dont témoigne son œuvre, résolument arrimée aux vicissitudes de l'Histoire, laquelle apparaît forgée d'espoirs, mais et aussi d'un profond désarroi que l'on peut attribuer à la difficulté, pour la majorité des personnages féminins de l'auteure, de retrouver une identité, à jamais perdue dans le labyrinthe de l'exil.

 

Plus spécifiquement, les tentatives de "re-construction" identitaire « noires » imprègnent une narration qui en explore les contradictions et les pièges pour rendre compte, toujours subtilement, de leurs incidences sur le destin des individus : que l'on pense à l'utopie raciale du Jamaïcain Marcus Garvey — toile de fond de son roman La vie scélérate (1987) — ou à l'Afrique mythique des poètes de la Négritude, objet de réappropriation symbolique dans son roman Ségou (1984).

C'est enfin dans le contexte postcolonial de la restructuration politico-culturelle de l'Afrique du Sud que se déroule l'histoire de la « femme cannibale », portrait d'une solitude qui "dé-construit" les illusions porteuses idéologiquement d'un possible « vivre ensemble ».

          

 

Maryse Condé et le "cannibalisme littéraire"

Le concept de cannibalisme littéraire est né d’un manifeste écrit par le poète brésilien José Andrade en 1928, le cannibale devenant alors une figure postcoloniale.

Avec Histoire de la femme cannibale publié en 2003, Maryse Condé met en scène "son double" dans le personnage de Rosélie Thibaudin, originaire de Guadeloupe, qui se retrouve paumée en Afrique du sud avec son mari Stephen, blanc et anglais comme son propre mari Richard Philcox qui fut son traducteur avant de l’épouser. Rosélie s’intéresse beaucoup à une nommée Fiéla.

Acte symbolique : Fiéla a tué son mari, l'a dépecé et mangé, réaction maladive d’une femme qui se laisse "bouffer" par son mari, dilemme où il faut manger l’autre ou être mangé, Cette femme-cannibale est en quelque sorte l’expression de la femme noire mariée à un homme blanc, le couple mixte étant l’un de ses thèmes majeurs.

 

La prise de conscience de cette relation peut être équilibrée au sein du couple par un mélange assez improbable de racisme et de patriarcat. De plus, Rosélie en tant que médium cannibalise les histoires de ses clients qu'elle prend en charge. Elle devient la porte parole de la position de Maryse Condé sur la littérature francophone, son approche critique de cet apport post colonial dont elle dit par exemple : « Je parle de ce que je suis. [...] Le français m'appartient. Mes ancêtres l'ont volé aux Blancs comme Prométhée le feu. Malheureusement, ils n'ont pas su allumer d'incendies d'un bout à l'autre de la francophonie. »

            

 

Quelques citations
*
«Le malheur agit souvent comme un aimant. » (p. 288-89)
* « Certains affirment que le bonheur n'est jamais qu'une illusion. » (p. 292)
* « Elles sont ainsi les mères. Elles ne croient pas à l'ingratitude et à la légèreté des leurs enfants. " (p. 302)

 

Voir aussi
* Mariana Ionescu, "Histoire de la femme cannibale : du collage à l'autofiction", Nouvelles études francophones, volume 22, pages 155-169, 2007
** Le cœur à rire et à pleurer, autobiographie, 1999
*** Les belles ténébreuses --
**** Histoire de la femme cannibale --
***** Bibliographie
de Maryse Condé --

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4 février 2019 1 04 /02 /février /2019 20:38

Référence : Élisabeth Filhol, "Doggerland", éditions P.O.L/Gallimard, 352 pages, janvier 2019

                
« Nous finirons par toucher les limites de ce que l’on pense illimité. »
(Élisabeth Filhol)

­J'avais beaucoup aimé ses deux premiers romans, leur dimension sociale avec La Centrale qui obtint leprix France Culture-Télérama en 2010), abordant des conditions de travail des ­intérimaires de l’industrie nucléaire puis Bois II qui a comme sujet l'occupation d’usine condamnée à la délocalisation.C'est une auteure qui se fait rare, pratiquant un long travail de recherche et de documentation, pas du genre à pondre sa fiction annuelle.
D'où a priori l'intérêt qu'elle suscite à chaque nouvelle publication.

         

Dans les années 80, Margaret, géologue a choisi comme sujet d’étude le Doggerland, [1] une terre habitée il y a 8000 ans et à présent engloutie. Marc Berthelot est ingénieur pétrolier en mer du Nord. Il aurait pu la suivre dans cette voie, mais il a choisi le pétrole, quittant le département de géologie de Saint Andrews, pour une vie d’aventure sur les plateformes offshore. Liaison chaotique que l'auteur définit de cette façon : « Quantité de failles chez l’un et l’autre, quantité de micro-séismes... au lieu d’en réguler l’amplitude, dans un effet miroir, de s’autoréguler, chez eux tout s’additionne, s’amplifie, rien ne se soustrait. »

En 2013, alors qu’ils sont invités à un congrès à Esbjerg au Danemark, un ouragan s’apprête à frapper l’Europe du Nord. Ils auraient pu se revoir mais ce 5 décembre 2013, l’ouragan Xaver arrive et fond sur l’Europe du Nord, montant progressivement en puissance. Elle rappelle les vieilles hantises du Doggerland, les souvenirs de Marc et de Margaret, les choix qu’ils ont faits et repose cruellement les questions du développement des plates-formes pétrolifères, des parcs éoliens, d’une exploitation effrénée  des ressources naturelles. Mais en géologie, le temps s'étire sur de longues durées, les forces agissent à distance, réveillant parfois d’anciens volcans, de vieilles failles, ou les refermant de la même façon.

Elisabeth Filhol jongle avec les époques, nous fait traverser mer et continent à travers les âges de la préhistoire, comme elle aborde aussi la question des réels dangers que court désormais la terre. [2]

Interview d'Élisabeth Filhol :

« J’ai une conscience qui s’est éveillée lors de l'écriture. L’aventure du pétrole en mer du Nord, que je ne connaissais pas, m’a fascinée. Elle est métaphorique de ce que peut f­Depuis son premier opus, La Centrale (1) (prix France Culture-Télérama 2010), on savait qu’Elisabeth Filhol, 53 ans, ­aimait à arpenter les territoires singuliers. N’y a-t-elle pas fait enjeu romanesque des conditions de travail des ­intérimaires de l’industrie nucléaire ? Comme elle le fera, quatre ans plus tard, dans Bois II (2) , d’une occupation d’usine condamnée à la délocalisation.aire la science et la technologie humaine.
 Ce qui m’a le plus surprise avec le Doggerland, c’est que je n’en avais jamais entendu parler et qu'il n’en reste rien dans les mythes européens. Pourquoi ce Doggerland a été rayé de la carte et de la mémoire collective, cela fait partie des énigmes qui m’ont donnée envie d’aller creuser…

Pour donner une profondeur aux personnages je fonctionne moins par une descente en introspection que part une projection de leurs états d’âme sur l’extérieur.
Si on intègre un paysage dans le temps géologique, ce n’est plus du tout le même. Du moins, cela permet un pas de côté. Le paysage me fascine donc deux fois plus. 

 Je vis l’écriture comme un espace de liberté. Je ne suis soumise à aucune contrainte, mon écriture part dans des directions différentes. J'ai le sentiment de chercher le livre dans une totale liberté. »

Quelques réactions de lecture
** « Élisabeth Filhol confronte le temps de la géologie à celui des humains. Un roman fascinant, à la croisée des sciences et de la fiction. »
Sophie Joubert, Humanité, janvier 2019
** « Une fiction singulière qui traverse les continents et les âges, à mi-chemin entre thriller scientifique et saga géologique. Fascinant. »

Fabienne Pascaud, Télérama, janvier 2019
** « Dans Doggerland, Elisabeth Filhol convoque tourments de l’amour, risques technologiques et naturels. Soufflant. »

Florence Bouchy, Le Monde des Livres, 11/01/2019

Notes et références
[1]
Doggerland, est le nom donné à l’étendue de terre qui se situait, voilà plus de huit mille ans, dans la moitié sud de la mer du Nord et permettait d'aller à pied de la Grande-Bretagne jusqu’au Danemark. Puis une espèce de  tsunami en Norvège a provoqué son immersion.
[2] La description qu'elle en fait s'appuye sur une tempête authentique qui eut lieu en 2013.

<< Ch. Broussas - Doggerland - 13/01/2019 © cjb © • >>

 
 
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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 18:15

Référence : Claire Castillon, « Les couplets », éditions Grasset, 203 pages

 

Un roman de claire Castillon est toujours un événement; cette fois, elle nous offre un recueil de nouvelles avec des personnages toujours aussi féroces et toujours aussi paumés. On connaît bien sûr la chanson des couples qui se déchirent, on connaît aussi le refrain moins les couplets qu'elle tricote et assaisonne à sa façon.

Ils sont mis en musique dans une polyphonie assez déprimante dans son pessimisme, prise entre des vies cloisonnées et solitaires, même si c'est à plusieurs, la pauvreté des relations intimes qui attendent des personnages à la recherche d'eux-mêmes.

 

Son recueil d'une vingtaine de nouvelles «triture le couple et ses dessous avec une cruelle lucidité, » commente Le Figaro. Les phrases fusent comme des jugements à l'emporte-pièce, sans concession, comme cette femme qui dit que « chaque soir, j'espère que mon mari ne remarquera pas ma présence dans le lit. »

Les hommes ne sont pas en reste, il accusent, « en devenant mère tu t'es mise à détester les hommes » ou concluent comme « je déteste ma famille.» "Familles je vous hais" semble être son credo et l'analyse de la vie conjugale un désenchantement lucide; la famille moderne finit dans l'adultère, la naissance d'un premier enfant représente le début des ennuis, les gosses empoisonnent la vie des divorcés, le couple est passé à la moulinette des rapports voués à l'échec et des amours impossibles.

 

Une galerie de personnages où l'on retrouve aussi tous les stéréotypes de notre époque, les familles recomposés et les couples décomposés, les gosses de vieux, le Le devoir conjugal, des hommes-femmes collants comme la glu... Des femmes qui savent au moins ce qu'elles ne veulent pas comme celle-ci qui ose avouer : « Une femme a besoin d’être insatisfaite. Elle exulte dans la frustration. S’il me laissait encore juste le temps de poser ma main sur sa cuisse sans se dresser j’aurais encore envie de lui. Mais à me désirer à ce point, il va me perdre. » C'est clair, les sexes sont bien typés, pas de papa-poule ou d'amant qui pratique l'art du "cocoonage".

Après un précédent roman « Dessous, c’est l’enfer », dans lequel Claire Castillon décrit l’impossibilité d’aimer et le poids de l'héritage familial, nous voilà de nouveau en pays de connaissance.

       

Voir aussi mes fiches
- Claire Castillon Les Merveilles, Les couplets -- Ma Grande --
- Couples et littérature --
- Régis Jauffret Microfictions 2018 --
       

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