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16 mai 2021 7 16 /05 /mai /2021 05:42

                           

 

Gabriel Séailles (1852-1922) disait de l’athéisme que « l'athéisme est un dogme, » beaucoup d’athées pouvant finalement être aussi dogmatiques que les religieux qu'ils prétendent combattre. Alain (Georges) Leduc rassemble dans cet ouvrage des textes d'auteurs très différents pour initier un véritable débat sur le thème de l’athéisme.

Ce dogmatique ne signifie pas que l’on puisse oublier la fraternité qui peut unir, à l’occasion de tel ou tel événement historique comme au temps de la Résistance, des hommes aux opinions différentes et même tranchées. Gabriel Séailles n’a-t-il par ailleurs écrit dans Les Affirmations de la conscience moderne : « Au nom de la Libre Pensée, demandons qu'il n'y ait plus d'opinions suspectes ou privilégiées, qu'on puisse être athée, sans être traité de scélérat, et croire en Dieu, sans être traité d'imbécile. »

 

                 
Quelques œuvres d'Alain-Georges Leduc

 

Alain (Georges) Leduc  revient sur une « dispute » (au sens premier du terme)  entre Roger Vailland et Louis Martin-Chauffier. Cette partie est complétée par une conférence qui s’est tenue à Łódź en Pologne autour de trois écrivains athées de langue française, le Marquis de Sade, Octave Mirbeau et Roger Vailland et un texte de Sade, Dialogue entre un prêtre et un moribond, et enfin l'article Athéisme de l'Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure.

Nous assistons à une belle joute entre Roger Vailland qui vient de publier le roman qui le fera connaître Drôle de jeu, prix Interallié 1945, et Louis-Martin Chauffier, grand résistant arrêté par la Gestapo en 1943. Si la Résistance et le fait de travailler pour le journal communiste Action les réunissent, ils ont des conceptions fort différentes en ce qui concerne leur rapport à la croyance et à la religion.  

 

       

 

Pour Martin-Chauffier, « un athée ne peut être qu’un égaré cherchant Dieu » alors que Vailland est un libertin qui rejette la religion : ainsi débute la confrontation.

Pour Martin-Chauffier, Vailland est « ce garçon maigre qui va, le nez en l’air, un petit sourire au coin des lèvres, ne flaire pas le vent, il flaire la vie. » Il le voit comme un individualiste, un peu anarchiste, fort balancé de nature, « iconoclaste par amour caché d’un Dieu dont il redoute à la fois la rencontre et désire l’approche », ce qui n’a pas trop plu à un Vailland qui lui répondra dans un article publié ans le journal Action de décembre 1945 où il parle « d’appréciation singulière » lui qui se sent si étranger au problème religieux.

Ce d’autant plus que Vailland pense que « le catholique ne reconnaît pas la raison et ne procède d’aucune logique. »La religion lui paraît relever d’un comportement primaire de l’homme, d’un obscurantisme que la science se charge de faire reculer de jour en jour.

 

                   

 

Martin-Chauffier lui répond sur le même ton, écrivant que Vailland est un « rationaliste furieux », oscillant entre le goût de l’insoumission et le besoin de certitude, ajoutant qu’il n’est pas facile « d’être à la fois individualiste forcené de nature et marxiste d’esprit. » Voilà bien le problème et le "Dieu-marxisme" professe une idéologie pas forcément rationnelle, un marxisme qui ressemble à « l’inquiétude religieuse ».

Il pense ainsi qu’on peut discuter avec un marxiste, « l’échange est possible, car les positions sont nettes. » Même si l’on sait qu’on est en désaccord sur l’essentiel.

Alain (Georges) Leduc accompagne l’ensemble de notices explicitant le contexte et d’écrits complémentaires comme le réquisitoire de Laval de Martin-Chauffier, une plaquette de 2007 intitulée "Roger Vailland, Je ne cherche pas Dieu. La controverse avec Louis-Martin", publiée aux éditions Le Temps des cerises dans la collection Cahiers Roger-Vailland.

 

            
Des œuvres de Roger Vailland         Vailland avec sa femme Elisabeth

 

L’Œuvre de Alain (Georges) Leduc - Références
Alain (Georges) Leduc, Biographie -- De l'athéisme --
Octave Mirbeau -- JMG Le Clézio par AG Leduc --
Roger Vailland, Un homme encombrant --

Alain Georges Leduc et son oeuvre --

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30 juillet 2020 4 30 /07 /juillet /2020 13:56

Littérature et philosophie chez Amélie Nothomb

Référence : Marianne Chaillan, Ainsi philosophait Amélie Nothomb, préface de Raphaël Enthoven, Albin Michel, 216 pages, février 2017

 

       

 

La philosophe Marianne Chaillan nous offre une fiction originale dans laquelle la romancière Amélie Nothomb nous emmène sur les traces de certains de ses personnages. Elle aurait instillé subrepticement dans ses romans des concepts philosophiques dans des situations romanesques. Mais de grands penseurs vont être convoqués pour éclairer notre lanterne.

 

       

Où la philosophe peut se dissimiler sous des dehors fictionnels. Amélie Nothomb "écrivaine philosophe", alors ? Laissons d'abord la parole à Hannah Arendt, « Amélie Nothomb écrit des récits fictionnels dans la forme. Mais dans le fond, ce sont des ouvrages philosophiques » puis à Nietzsche qui précise : « Les livres d'Amélie sont très puissants. Sous leur apparente simplicité, se cache de la dynamite philosophique ».

 

      
Hanna Arendt et Acide sulfurique

 

Marianne Chaillan a ainsi choisi la fable pour aborder des concepts philosophiques. Ça commence par une mauvaise nouvelle : Amélie est morte. Au paradis, elle est accueillie par deux de ses personnages Plectrude l'héroïne du Robert des Noms propres, à la jeunesse chaotique et Déodat, celle de Riquet à la houppe, aussi intelligente que laide, dit-elle... Cette dernière lui explique le fonctionnement du paradis : des musiciens, des boulangers, des cinéastes... réunis autour d'une passion commune.

Reçue par un nommé Épiphane, pas très beau comme le héros d’Attentat, elle accède au paradis (sans passer par la case purgatoire) mais dans le groupe des philosophes et non comme elle aurait voulu, dans celui des écrivains. Furieuse, elle fait appel de cette décision inique où, au cours du procès, le gratin de la philosophie va défiler à la barre et défendre l’idée qu’Amélie Nothomb est bien l’une des leurs. Mais, Amélie n'aura pas le droit d'intervenir, juste celui d'écouter.

 

      
Cicéron et Le crime du comte Neville


La première est Hannah Arendt pour qui le roman Acide sulfurique où l’on trouve dit-elle, une théorie de « la banalité du mal ». Intéressant pour un début. La suite est pas mal non plus avec de grosses pointures, pêle-mêle Levinas, Cicéron, Sartre, Spinoza, Hegel, Heidegger, Jankélévitch et Nietzsche.

 

       
Emmanuel Lévinas et Journal d'hirondelle

 

La romancière se métamorphose au fil des témoignages, versant stoïcienne dans Le crime du comte Neville pour Cicéron, égérie de la liberté de l’individu pour Sartre, championne du poids de l’enchaînement des causes sans résignation pour Spinoza.

 

       
Friedrich Hegel et Stupeur & tremblements

 

Levinas voit dans son  Journal d’hirondelle l’idée de  « la fatigue d’être, ou d’avoir à être », Hegel décèle dans Stupeur et tremblements le souci de la reconnaissance d’autrui, Spinoza (de nouveau) voit dans Biographie de la faim la connaissance de soi dans un désir qui reste inassouvi, Jankélévitch pense que dans La nostalgie heureuse, le spleen qui s’en dégage se transforme peu à peu pour aboutir à un calme ennuyeux.

 

       
Baruch Spinoza et Biograpbie de la faim


Heidegger voit, dans Métaphysique des tubes, une dualité de la mort et de la vie où cette dernière se développe « sous la lumière de la finitude ». Marianne Chaillan lui fait dire aussi « Comme Gide, Amélie Nothomb n'écrit pas seulement pour être lue, mais pour être relue. N'est-ce pas pour cette raison que ces textes sont courts ?  »

 

       
Vladimir Jankélévitch et La nostalgie heureuse

 

Et pour en finir avec cet aréopage de philosophes éclairés, Nietzsche pense que Ni d’Eve ni d’Adam représente une approche très intéressante de la complexité du langage.

 

       
Martin Heidegger et Métaphysique des tubes

 

Quant au jugement final du tribunal du Paradis… il est mis en délibéré sine die. Il en est ainsi de la justice et du jugement des philosophes !

 

       
Friedrich Nietzsche et Ni d'Ève ni d'Adam

 

Quelques exemples

Hannah Arendt parle de sa théorie de la banalité du mal qu’elle développe dans Eichmann à Jérusalem et retrouve dans Acide sulfurique ou le débat entre Cicéron, Spinoza et Sartre est l’occasion de confronter leurs idées sur des thèmes aussi variés quele destin, la liberté ou le stoïcisme…

Le livre permet aussi d’aborder des notions comme la nostalgie avec Vladimir Jankélévitch et le passage de son ouvrage L’irréversible et la nostalgie à celui de Nothomb La Nostalgie heureuse, comme Hegel montrant comment la dualité "je et il" se retrouve dans Stupeur et tremblement  ou comme Heidegger qui, à travers Ni d’Ève ni d’Adam, traite la question du langage.

 

Mes fiches sur Amélie Nothomb
* Ainsi philosophait Amélie Nothomb --
* Amélie Notomb, Son parcours -- Soif --
*
Amélie Notomb, Pétronille -- Biographie de la faim --

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14 décembre 2019 6 14 /12 /décembre /2019 14:08

         

« Un homme qui renonce au monde se met dans la condition de le comprendre. »
 

On connaît bien et on célèbre l’auteur de récits comme Monsieur teste et surtout le poète auteur de La Jeune parque ou du Cimetière marin, adepte comme son maître Stéphane Mallarmé du vers ciselé, poli par une longue maturation, qui pensait comme son ami André Gide que « l’art vit de contraintes et meurt de liberté. »

 

Le penseur et essayiste, s’il a rayonné à son époque, est beaucoup moins connu aujourd’hui. Il a pourtant excellé dans plusieurs domaines, s’adonnant à la prospective ou réfléchissant aux évolutions sociétales, affûtant son regard visionnaire aux réalités de son temps.

 

En matière de prospective, il disait que « les hommes entrent dans l’avenir à reculons. » [1]  Il possédait une rare faculté d’analyse et de prévision qui l’a beaucoup servi et venait sans doute d’une approche aussi bien littéraire que scientifique. Il annonce à ses contemporains, sans jouer les augures, ce qu’il va se produire des années plus tard.

 

 

 

En voici quelques exemples pris au hasard de ses écrits, essais, articles de journaux ou réflexions tirées de notes ou de son Journal.

1895, Le Yalou
Dans cet essai, il fait dire à un asiatique : « Tels, nous semblons dormir et nous sommes méprisés…  mais nous possédons une durée plus forte que la force de l’Occident » et annonce ainsi le réveil de l’Asie.

1897 La conquête allemande
Dans cet essai, il met en lumière l’énorme essor industriel de l’Allemagne qui, prévoit-il, débouchera inéluctablement sur un conflit avec l’empire britannique. Trois pays vont émerger et devenir puissants : L’Italie, l’Allemagne et le Japon.

1927 Notes sur l’Europe
Il voit à brève échéance une décadence européenne et son assujettissement aux États-Unis.

1928 De l’histoire
Plus le temps passe et plus les sociétés se complexifient, ce qui rend l’action des politiques plus aléatoires.

1929 Des paris
Notre époque associe autocratie et technocratie, la politique ayant été d’abord « l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde. »

1934 De la dictature
« L’État dictatorial se résume en une division simple de l’organisation d’un peuple : un homme assume toutes les fonctions supérieures de l’esprit… et le reste des individus réduits à la condition d’instruments… quelles que soient leur valeur et leur compétence personnelle. »

 

« Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! » (Le cimetière marin)

 

Dans d’autres ouvrages comme La Conquête de l’ubiquité ou Regard sur le monde actuel (1931), il dénonce l’instabilité mondiale à la veille de la Seconde guerre mondiale, pressent les effets pervers de la mondialisation, la fulgurante montée des moyens de communication, et même « une invention inconnue qui (change la donne) économique et militaire »[2]

 

Paul Valéry a bien vu le fossé entre littéraires et scientifiques, « le premier mouvement des uns est de consulter les livres, le premier mouvement des autres est de regarder les choses. » Il  avait le chic pour reconnaître dans une évolution technique son impact sur l’évolution des idées et des mœurs, un esprit introspectif qui a le pouvoir de mettre les choses en perspective pour mieux les synthétiser.

Déjà en 1894, il écrit à son maître Stéphane Mallarmé : « J’ai songé, cher maître, à comprendre dans une même figure ce qui représente le MOYEN » et à travers les outils réels ou conceptuels, élaborer « une théorie de L’INSTRUMENT. »

 

« Courons à l’onde en rejaillir vivant ! » (Le cimetière marin)

 

Dès 1928, il annonce ce qu’il appelle une "société  pour la distribution de réalité sensible à domicile"… autrement dit la radio télé diffusion.

Il imagine déjà « de faire entendre partout  et dans l’instant une œuvre musicale exécutée n’importe où… et la restituer à volonté. » Il en mesure aussi les limites, la mauvaise utilisation et redoute le remplacement du livre papier par « une littérature purement auditive et orale » autrement dit le livre audio un demi-siècle plus tard.

 

Ce fut aussi un européen convaincu, nationaliste voulant intégrer son pays dans un système ouvert, concevant sa patrie « que relative au système des autres, s’informant d’elles et s’organisant sans cesse… »
Dans cette optique, il défend la création d’une Fédération européenne, parcourant les grandes cités européennes au nom de cette idée, correspondant avec Thomas Mann, Stefan Zweig, Rilke ou Einstein. Il voit bien le challenge à relever et prône ce qu’il appelé une « Europe possible », revenant à son idée de réunir « ceux qui pensent et ceux qui gouvernent. »

 

Notes et références
[1] « Rien n’a été plus ruiné par la Grande guerre que la prétention de prévoir, déclare-t-il dans une conférence… C’est pourquoi je me garderai de prophétiser. Je sens trop, et je l’ai dit ailleurs,  que nous entrons dans l’avenir à reculons… »
[2] Régis Debray dans son livre Un été avec Paul Valéry, écrit qu’il est aussi « "un lanceur d’alerte" sur la fragilité de notre civilisation et de notre société mondialisée. »

 

Voir aussi
* Régis Debray, Un été avec Paul Valéry --
* Paul Valéry, le visionnaire --

<< Christian Broussas – Paul Valéry- 6/08/2019 • © cjb © • >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 18:46

Référence : Boris Cyrulnik, "La nuit, j’écrirai des soleils", éditions Odile Jacob, 2019

 

Dans ce nouvel essai, « La nuit, j’écrirai des soleils, » le célèbre neuropsychiatre revient sur un thème qui lui est cher, celui de la résilience à l’aide de nombreux exemples, à travers le langage, ce qu’il appelle « la mise en mots ».

 

                 

 

Titre sibyllin s’il en est, titre oxymore comme dit Boris Cyrulnik, « dans le noir on espère la lumière, dans la nuit on écrit des soleils. Des écrivains comme Rimbaud ou Jean Genet par exemple, qui recherchaient l’affection, s’en privaient pour stimuler leur créativité.

L’écriture opère comme une sorte de phénomène compensatoire, comme les enfants aveugles qui développent leur ouïe. Quand il y a déficit de perceptions, (comme chez certains écrivains), l’imagination flambe et empêche l’agonie psychique. »

 

La  résilience, c’est cette capacité à vivre malgré un grand traumatisme intervenu dans la vie d’une personne. Il sait de quoi il parle car l’a vécu : orphelin, il a échappé de justesse à une rafle pendant la Seconde Guerre mondiale mais il est parvenu à surmonter cette phase névralgique et à mener une vie apaisée, accéder à une certaine "normalité".

 

    
       Avec Frédéric Lenoir                                Le couple Cyrulnik

 

Pour aider la personne déstabilisée et lui permettre d’accéder à la résilience, on utilise essentiellement le soutien affectif et la verbalisation. Boris Cyrulnik pense cependant que partager sa souffrance est nécessaire mais non suffisant pour agir efficacement sur l’impact du traumatisme. Pour être vraiment en communion avec la personne, il faut aussi interagir avec elle à travers l’écriture, à travers les mots.

 

À la question de savoir comment il s’est penché sur le lien entre écriture et reconstruction de l’individu, Boris Cyrulnik se réfère au pédopsychiatre Donald Winnicott. Selon son expérience, un enfant qui ne sait pas parler peut découvrir dans le dessin le moyen de dire ce qu’il ne peut exprimer autrement.

 

         
Avec sa mère à 1 an

 

D’autres expériences ont permis de constater que beaucoup d’enfants en difficulté se tournaient, l’âge scolaire venu, volontiers vers l’écriture. « En m’intéressant à l’origine du besoin d’écrire, dit Boris Cyrulnik, j’ai découvert que sur les trente-cinq écrivains les plus célèbres du XIXe siècle, dix-sept sont des orphelins ou des enfants abandonnés. Prenons aussi l’exemple des soldats engagés dans un conflit armé. Ceux qui peuvent écrire ce qu’ils ont vécu présentent peu de syndromes post-traumatiques de retour chez eux au regard de ceux qui n’ont pu en parler ou s’exprimer. »

 

      
« Le burn-out révèle à quel point notre société surinvestit le travail et désinvestit les relations humaines et affectives. »

 

Comment expliquer ce phénomène ?
Il explique ce phénomène par la neuro-imagerie par exemple, qui est capable de détecter de graves lésions cérébrales chez les bébés en carence affective et sensorielle. Chez ces mêmes bébés, dès qu’ils sont en contact avec une famille d’accueil aimante, leurs circuits neuronaux se remettent peu à peu à fonctionner normalement.

 

Mais, constate l’auteur, «  ils gardent cependant la trace mnésique de la privation passée et acquièrent une grande vulnérabilité neuro-émotionnelle qui les expose à la dépression, au passage à l’acte (suicide, délinquance) ou bien à une forme intense de rêverie qui les coupe du réel.

 

Ceux qui retrouvent goût à l’existence sont ceux qui parviennent à faire "quelque chose" de leur malheur passé. Cela s’explique très bien sur le plan cérébral. Les neurones préfrontaux – qui ont pour fonction d’anticiper un scénario et de freiner les réactions de l’amygdale rhinencéphalique, socle neurologique des émotions insupportables – sont alors stimulés. Ils peuvent à nouveau jouer leur rôle de régulation émotionnelle. »

 

           

 

Qu’en est-il alors de l’écriture ?
Elle joue sur l’horreur du réel qui saisit le cerveau, permettant aux personnes de se déconnecter du contexte et d’éviter le recours à des solutions extrêmes comme la drogue. « En sublimant la souffrance, en la transformant en œuvre d’art, poursuit Boris Cyrulnik, l’écriture donne du sens à l’incohérence, au chaos, comble le gouffre de la perte (dans le cas de la mort d’un enfant, par exemple, comme chez Victor Hugo) et crée un sentiment d’existence.

 

De simple témoin impuissant, l’auteur devient créateur de ce qu’il raconte. Nous, les humains, nous pouvons souffrir deux fois : une première fois lors du coup que nous recevons dans le réel, puis une seconde fois lors de la représentation du coup. Ecrire nous oblige à nous décentrer pour faire du trauma une représentation remaniée, comme dans cette confidence d’un patient "Pendant quarante ans, ma vie a été muette, jusqu’au moment où je me suis décidé à écrire"... »

 

                   
« Tout être blessé est contraint à la métamorphose. »

 

Pourquoi l’écrit plutôt que la parole ?
Boris Cyrulnik a remarqué que les patients peuvent passer par l’écrit (poèmes, chansons, essais, romans…) pour dire leur souffrance, pour acter leur réalité intérieure alors qu’ils sont incapables d’en parler avec un interlocuteur. Il l’explique ainsi : « le mot écrit nous fait plonger dans l’imagination et l’introspection puisque nous nous adressons à un ami invisible. La résonance affective des mots, leur poésie et la musique qu’ils dégagent expriment la vérité du monde le plus intime… Ce n’est pas l’acte en lui-même qui apaise, c’est le travail de recherche des mots, des images, l’agencement des idées, qui entraîne à la régulation des émotions. »

 

       

Boris Cyrulnik et l'écriture

Il pense que l'écriture l'a sauvé en lui permettant de se réapproprier son histoire. Pendant la guerre, on lui a interdit de parler. A la Libération, on l'a traité de menteur, on l'a culpabilisé, on s'est aussi moqué de son état. Il est devenu mutique, passant son temps à rêver et à lire. Cette situation a duré 40 ans puis il s'est adonné à l'écriture. Il a discuté, remué le passé, les archives, ses lieux préférés...


Il en parle maintenant avec détachement, comme s'il s'agissait d'un autre : « le travail de l’écriture a modifié ma mémoire. Je ne suis plus traumatisé en la racontant. Et je ressens toujours un profond bonheur quand mon récit résonne pour le lecteur : "Cela me fait penser à moi".

Fort de son expérience, Boris Cyrulnik conseille de raconter son trauma, de le mettre en scène, d'en faire un objet d’observation extérieur à soi-même :  Il faut se tourner vers un art, une activité qui donne sens, peu importe laquelle : la musique, la peinture, la danse, le théâtre, la vidéo, le slam, la bande dessinée, l’engagement associatif, une cause humanitaire…

 

Voir aussi :
* Boris Cyrulnik et Boualem Sansal, L'impossible paix en méditerranée --

<< Christian Broussas – Cyrulnik- 22/04/2019 • © cjb © • >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 10:21
Référence : Marie Robert, Kant tu ne sais plus quoi faire... il reste la philo, éditions Flammarion/versilio, 176 pages, avril 2018

« La philo n’est rien d’autre que la vie réelle ! »
Marie Robert

      

Rude tâche que s’est assignée Marie Robert dans sa volonté de vulgariser les grands auteurs de la philosophie. Elle se pose la question de savoir comment décloisonner la philosophie, la rapprocher des préoccupations des gens en étant plus concret.

Pas n’importe quelle vulgarisation puisqu’il s’agit de partir de la réalité quotidienne pour y réinsérer des concepts philosophiques. C’est tout l’objet de l’essai de Marie Robert, Kant tu ne sais plus quoi faire, il reste la philo.

 

      

 

Partir du concret, c’est viser des situations comme faire un achat [1], rencontrer ses beaux-parents, cohabiter avec un ado, se faire larguer, monter sa start-up pour expliquer avec beaucoup d’humour comment les concepts de la philosophie peuvent aider à comprendre les phénomènes qui se produisent dans ces interactions.  

 

Pour agrémenter la lecture, Marie Robert a prévu des chapitres courts et des sujets variés, ce qui permet aussi de passer d’un sujet à un autre au gré de ses curiosités sans être tenu par une lecture linéaire. Même si toute tentative de vulgarisation fait grincer des dents, c’est comme "la philosophe pour les nuls" qui aurait été réussi.

 

          
Que ferait FREUD à ma place ?               Que ferait Nietzsche à ma place ?

 

Philosophie, littérature et enseignement

Marie Robert explique d’abord sa démarche par sa découverte de la philosophie : « En terminale, la découverte de la philosophie fut soudain une évidence. Tous les questionnements qui m’habitaient trouvaient désormais un espace. Le langage, la mort, le temps, la vérité, n’étaient plu s des notions d’angoisse à ignorer mais des sujets de pensée auxquels se confronter. »



On comprend bien le sens de son travail dans sa démarche initiale : « Une chose me fascinait : quel statut conférer à tous ces textes, ces romans, qui ne sont pas vrais… des histoires inventées, mais qui ne sont pas faux pour autant puisqu’ils nous permettent de saisir quelque chose sur la réalité ? »



Et de citer Madame Bovary qui pour elle représente une réflexion philosophique sur des thèmes comme l’ennui, le désir, la contrainte…. Reste à relier fiction et réalité, défi qui ne peut que passer par la pédagogie.

 

La pédagogie, elle s’y est engagée un jour en enseignant dans le seul Lycée Montessori de France avec comme défi d’être une passerelle entre les élèves et le savoir à enseigner. Puis elle a réussi à ouvrir sa propre école à Marseille pour des enfants entre 3 et 12 ans. Un parcours qu’elle qualifie « de mélange de passions, d’obsessions et de paradoxes ! »

 

           

 

Rendre les philosophes plus accessibles

Pour, comme elle dit, désacraliser les textes classiques, « il faut oser s’emparer d’un ouvrage de Kant ou de Spinoza, regarder le texte dans toute sa singularité et dans toute sa difficulté. Surtout, il faut ne pas s’en vouloir si on ne comprend pas tout ! La philo ne doit pas se couper des émotions. Pas besoin d’être philosophe pour être lecteur ! A force de lire, de découvrir, de se promener parmi ses textes, on se constitue une culture philosophique qui donne des clés de compréhension…

 

Une autre clé d’approche est de replacer les textes dans le contexte de leur époque car, dit-elle, « les philosophes s’incarnent dans une époque, dans des problématiques, dans une famille, dans une culture… » Et les philosophes ont aussi leurs affects !


Elle préconise également d’ajouter un brin de sel… humoristique, antidote contre la logique binaire d’Aristote, moyen de contester « les fondements de notre univers symbolique, il nous fait réfléchir… Rire, c’est prendre du recul et contempler le monde d’une manière inédite, audacieuse, décalée ! »

 

      Présentation sur Facebook --

 

La philosophie comme sagesse

L’approche pédagogique consiste à partir du concret pour aller vers le concept : « Pour saisir une notion, il faut comprendre comment elle s’articule dans des situations réelles, alors on en découvre la nécessité : c’est à ce moment-là que la philosophie quitte son approche poussiéreuse pour devenir une sagesse. »

 

Plus qu’uns solution clé en mains, Marie Robert se propose de nous guider pour savoir comment mieux prendre du recul et considérer telle situation sous un nouveau jour : « Boire un café avec Spinoza, c’est prendre ce temps pour penser au lieu de réagir. »

 

Puisque Marie Robert aime beaucoup le registre de l'humour, je lui dédie cette citation de Pierre Desproges : « Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question. »

 

 

Note et références
[1] Le décllc, c'est une viste chez Ikéa. Elle est angoissée de ne pas trouver ce qu'elle cherche et oppressée par la dimension du magasin. « J'étais en sanglots. Je me suis dit qu'il fallait que je trouve un moyen de me ré-ancrer et c'est là que les pensées de Spinoza m'ont aidée. » Appliquer le précepte clé du désir comme pulsion du grand philosophe est parvenu à la calmer.

 


« Si la philosophie existe, c'est qu'elle a son propre contenu. » Gilles Deleuze.

 

Voir aussi
* Marie Robert, Descartes pour les jours de doute, éditions Flammarion/versilio, 208 pages, avril 2019
* Sarah Tomley, Que ferait Freud à ma place? La psycho appliquée à mon quotidien,  éditions Hachette, février 2018

* Marcus Weeks, Que ferait Nietzsche à ma place? La psycho appliquée à mon quotidien,  éditions Hachette, février 2018
* Jean-François Marmion, Psychologie de la connerie, éditions Sciences humaines,  octobre 2018
* Mes fiches sur :
   - Denis Kambouchner, Descartes n’a pas dit, spécialiste de Descartes
   - Sarah Bakewell, Sur Montaigne --

<< Christian Broussas – Marie Robert- 23/04/2019 • © cjb © • >>

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 10:09

              
Sarah Bakewell

 

Référence : Sarah Bakewell, Comment vivre ? : Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse, traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat, éditions Albin Michel, 488 pages, mars 2013, gencod  9782226246936

Ce livre a reçu le National Book Critics Circle Award for Biography aux Etats-Unis et le Duff Cooper Prize for Non-Fiction en Grande Bretagne.

 

 Rappel biographique : De nationalité anglaise, Sarah Bakewell est née à Bournemouth mais a passé une grande partie de son enfance dans différents pays d’Europe puis en Australie. De retour à Londres, elle a été conservatrice au département des incunables de la Wellcome Library, publiant ses premières biographies,  puis  anime des ateliers d'écriture à la City University et travaille pour les collections de livres rares du National Trust.

 

         

 

Flaubert dit-on, donnait ce conseil à ses amis : « Lisez Montaigne, il vous calmera..., lisez pour vivre. » Sans doute, Sarah Bakewell a-t-elle suivi ce conseil qui nous donne dans ce livre la pensée de Montaigne sur des sujets aussi essentiels que le plaisir et les petits bonheurs, la peur ou la perte d’un amour… autrement dit, comment un « honnête homme » doit-il assumer sa vie ? [1] Pour Sarah Bakewell, « lire Montaigne, ce n'en est pas moins éprouver maintes fois le choc de la familiarité, au point que les siècles qui le séparent du nôtre sont réduits à néant. Les lecteurs continuent de se reconnaître en lui, » écrit-elle sous le charme de cet homme charmé par l'homme qui lui paraît « aussi vivant qu'un personnage de roman » qui regrettait que « nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vides. »

 

Sarah Bakewell insère les éléments biographiques –épisode de sa vie ou anecdote-  dans le contexte agité du XVIe siècle où il vécut, pour alimenter « ses vingt tentatives de réponse », lui qui savourait l’instant présent, [2] abordant la vie « en toute douceur et liberté sans rigueur et contrainte. » Un homme multiple, érudit philosophe et chrétien comme il se devait, homme solitaire et homme politique à la fois…

 

    

 

Question fondamentale s’il en est, sur laquelle Montaigne s’est penché tout au long de ses Essais, développant un humanisme dont il avait fait graver cette réflexion sur une poutre de sa bibliothèque : « Il est beau pour le mortel de penser à hauteur d'homme. » En discourant sur lui-même, Montaigne nous parle aussi de nous, de la beauté tragique de la condition humaine, tendant le miroir de la grande question : « comment vivre ? »

Un savoir-vivre qu’il distille par petites touches, partant de la réflexion, surtout ne jamais rien regretter, savoir user de « petites ruses », rester ordinaire et imparfait tout à gardant son humanité, philosopher « en amateur »… Le thème central de son questionnement est en effet de savoir, à chaque instant, comment mener la vie la meilleure qui soit et qu’un homme puisse atteindre.

 

             Les essais

 

Commentaires critiques

- « Si l'auteur ne perd pas de vue le fil rouge du Comment vivre ?, elle choisit de manière subjective un épisode de la vie de Montaigne ou une anecdote pour apporter sa réponse. »  Françoise Dargent - Le Figaro du 11 avril 2013

- « Le livre s'adresse à tous, ceux qui connaissent bien Montaigne comme ceux qui veulent le découvrir, mais surtout qu'il a autant de charme que de finesse et de savoir... Mieux vaut fêter cette rareté : un livre intelligent et populaire, qui ressemble à Montaigne, à force de l'aimer. » Roger-Pol Droit - Le Monde du 4 avril 2013

- « Une biographie sous forme de délicieuse conversation au travers des siècles. » The New York times

 

  « Jusqu'à quel point on réfléchit à ce que l'on dit. »

 

Notes et références

[1] Par exemple, « Ne pas s'inquiéter de la mort », «­ Réfléchir à tout et ne rien regretter », « Lâcher prise », « Être ordinaire et imparfait », « Lire beaucoup », « oublier l'essentiel de ce qu'on a lu...»
[2] « Quand je danse, je danse, quand je dors, je dors », disait Montaigne


 En complément

Référence : Antoine Compagnon, "Un été avec Montaigne", Editions des Equateurs, 170 pages, mai 2013, gencod 978-2849902448

Cet ouvrage est né d'une émission qu'Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, a faite sur France-Inter, évoquant Montaigne dans une série d'émissions estivales. En 40 chapitres, Antoine Compagnon interprète Montaigne pour un large public, à la fois drôle et clair, abordant, de la conversation à l'éducation, des thèmes chers au philosophe.

 

Voir aussi

+ Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire --
+ Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel --
+ Sarah Bakewell, Sur Montaigne -- Jean Lacouture, Montaigne à cheval --
+ Les amis de Montaigne : Se connaître à travers Montaigne
+ Un été avec Montaigne, Antoine Compagnon, Daniel Mesguich, l'émission sur France-Inter

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 05:18

Référence : Michel Foucault,  Les aveux de la chair, Histoire de la sexualité tome IV, éditions  Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, édition établie par Frédéric Gros, 448 pages, 2018

    

« Un inédit majeur »

On pourrait penser que ce livre de Michel Foucault, écrit dans les années 1980, n'est pas vraiment un ouvrage d'actualité. L’auteur de l'Histoire de la folie à l'âge classique et de Surveiller et punir, analyse ici les doctrines des Pères chrétiens des premiers siècles (de Justin à Saint Augustin) sur la sexualité. [1]

Déjà en 1977, Michel Foucault écrivait, à l’occasion de la parution de La volonté de savoir : « Je n'ai pas voulu écrire l'histoire des comportements sexuels dans les sociétés occidentales, mais traiter une question plus sobre et plus limitée : comment ces comportements sont-ils devenus des objets du savoir ?
Il se demandait alors si son analyse du pouvoir faite à propos de la prison, ne pourrait être étendue à la sexualité et poser ainsi le problème : « qu'est-ce qu'on fait avec la sexualité… à quoi ça sert de s'y intéresser ? De sorte que le problème de l'interdit ne doit pas être le problème premier.

Michel Foucault, qui s’était toujours intéressé au christianisme, constate que, malgré ce qu’ont affirmé beaucoup d’auteurs, la position de l’Église concernant les pratiques sexuelles n’étaient pas plus répressives que celle des philosophes "païens". [2]

« Centré sur la façon dont Saint Augustin et les Pères de l’Église concevaient le désir, Les aveux de la chair paraît enfin » écrit la philosophe Élisabeth Roudinesco dans Le Monde des Livres. La parution de ce volume,  le dernier de son Histoire de la sexualité, prend une dimension particulière au moment où le problème du consentement, central dans cet ouvrage, s’est imposé dans les débats actuels sur le harcèlement.

Le christianisme aurait également instauré une forme de pouvoir dit "réticulaire", qui forme un réseau, des connexions entre les êtres, [3] un « pouvoir pastoral » dans ce cas, qui s'immisce dans l'intime, privilégiant le contrôle par l’aveu des fautes…

             

Ce livre est consacré aux doctrines qui touchent au mariage, à la virginité, à la luxure, aux pratiques comme le baptême ou la pénitence, tels qu’ils étaient pratiqués par les Pères chrétiens de cette époque. Foucault y attache une importance particulière, pensant que cette expérience est proche du concept actuel de "sujets de désir", ce que Frédéric Gros nomme « une archéologie de la psychanalyse. »

Foucault s’intéresse à la question de la chair par les Pères chrétiens parce qu’elle rejoint celle d’une « éthique du sujet » qui par exemple se concrétise par la confession du moine à son directeur spirituel. « Tout ce qui le traverse – sentiments, désirs, affects – doit être redoublé et structuré par un discours qui doit être dit à un autre, explique Frédéric Gros. C’est cette verbalisation, constitutive d’une connaissance de soi, qui intéresse Foucault. »
Le christianisme donne ainsi à la sexualité un rôle primordial : « Elle devient ce dont on doit rendre compte, avec l’idée que quelque chose comme notre vérité s’y joue », toujours selon Frédéric Gros.

   Foucault en 1977

Notes et références
[1]
« Les ayants droit de Michel Foucault ont considéré que le moment et les conditions étaient venus pour la publication de cet inédit majeur » : c’est ainsi que Frédéric Gros, spécialiste de Michel Foucault (1926-1984), clôt sa brève information sur la diffusion d’un texte qu’on attend depuis plusieurs décennies… trente-six ans pour que Les Aveux de la chair, déposé la première fois chez Gallimard en 1982, soit édité. Présenté sans commentaire ni préface, ce qui peut paraître surprenant, ce texte qui a suscité tant de convoitises, ne figure même pas dans l’édition en deux volumes des Œuvres de Foucault dans la Pléiade parue en 2016. Il constitue le quatrième et dernier tome — après La Volonté de savoir(1976), L’Usage des plaisirs (1984) et Le Souci de soi (1984) — de son Histoire de la sexualité, « vaste étude sur la généalogie de l’homme du désir », selon Foucault lui-même.
[2] Ces principes auraient « émigré dans la pensée et la pratique chrétiennes à partir des milieux païens dont il fallait désarmer l’hostilité en montrant des formes de conduite déjà reconnues par eux pour leur juste valeur », écrit Foucault.
[3] Configuration qui s'oppose au pouvoir radial dont les rayons partent du centre jusqu'aux différents points périphériques

Mes fiches sur Foucault
* Foucault par Didier Éribon -- Foucault, trente ans déjà -- Foucault, les aveux de la chair --
* Michel Foucault & Gilles Deleuze -- Foucault, Penser l'homme --

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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 19:20

Michel Onfray, "Le canari du nazi, « essai sur la montruosité", éditions Autrement, collection Université populaire, paru le 23/01/2013, isbn 2746734117

Avec les contributions de Séverine Auffret, Nicolas Béniès, Alexandra Destais, Arno Gaillard, Gilles Geneviève, Myriam Illouz, Bénédicte Lanot, Jean-Pierre Le Goff, Françoise Niay, Michel Onfray, Paule Orsoni, Gérard Poulouin, Antoine Spire.

 

Ce livre est issu d'un cycle de conférences de la célèbre Université populaire de Caen qui a eu lieu au théâtre du Rond-Point en 2010-2011 et avait pour titre « Qu'est-ce que le monstre ? ». Les meilleures interventions, dans les domaines les plus variés (littérature, cinéma, mythologie, religion, philosophie, histoire, économie, politique…), ont été rassemblées ici pour décrypter la figure du monstre et le concept de monstruosité.

Qu'ils soient mythiques ou fondamentalement humains, les monstres nous entourent, si proches de nous, comme nous, nous-mêmes ? A travers ce thème décliné en 13 variations c'est une profonde interrogation sur la nature humaine et sur la nature du monde qui se dégage. Pourquoi « le canari d'Eichmann » ?

 

Michel Onfray, le directeur de l'ouvrage, nous livre la clef dans son introduction : « Je n'oublie jamais qu'après une journée de "travail" à préparer et assurer l'intendance de la solution finale, Eichmann ôtait ses chaussures en rentrant chez lui à une heure tardive... pour ne pas réveiller son canari endormi ! Cette image me hante souvent – elle m'aide à comprendre certains hommes... ». Tout est là...

C’est l’occasion de s'interroger sur la nature humaine ainsi que sur le monde qui nous entoure, car écrit Michel Onfray « Nous ne manquons pas de voie d’accès à l’éternelle monstruosité des hommes. » [1] Reconnaître le montre à sa "gueule" serait trop simple, les monstres humains n’ayant pas un profil spécifique ni même la tête de l’emploi, et « le pire n’est pas que le monstre soit, mais qu’il n’ait pas toujours la tête de l’emploi…Quand il ressemble à ce qu’il est, la chose devient facile. Mais la plupart du temps, le monstre arbore une figure humaine… »

 

L’ouvrage contient des interventions dans des domaines aussi variés que la littérature, le cinéma, la mythologie, la religion, l’histoire, l’économie, la politique… et la philosophie bien sûr, qui se sont fixées comme objectif d’analyser le concept de monstruosité et la figure du monstre. Ils déclinent ce thème en 13 variations qui interroge sur le mystère de la nature humaine et le type d’univers qu’il façonne.


En complément

Dans Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt rapporte que le criminel de guerre a affirmé lors de son procès qu'il était un lecteur attentif de Kant mais qu’Eichmann n'a rien compris au message du philosophe. Or, contrairement à ce que l'auteur des Origines du totalitarisme écrit, le national-socialiste avait lu, et bien lu la Critique de la raison pratique et les autres œuvres éthiques du philosophe de Königsberg. Eichmann connaissait Kant et ses thèses majeures : sa pensée de la loi et de l'obéissance, sa philosophie de l'Etat et du droit, de la légalité et de la moralité, de l'impératif catégorique et du serment, l'impossibilité dans le corpus kantien de toute possibilité de désobéir.

Or, tout cet arsenal philosophique constitue une pensée paradoxalement compatible avec la mécanique du IIIème Reich... Michel Onfray en propose une double démonstration : par un texte théorique intitulé «Un kantien chez les nazis» et par une pièce de théâtre qui met en scène Eichmann, Kant... et Nietzsche. Dans Le Songe d'Eichmann, le philosophe allemand vient rendre visite en songe au criminel de guerre deux heures avant sa pendaison. Un dialogue s'engage alors entre les deux hommes - avec Nietzsche en tiers... Le philosophe, compagnon de route du national-socialisme, ne se révèle pas celui qu'on aurait pu croire...

A son procès, le planificateur nazi de la solution finale déclara qu'il avait mené sa vie selon la définition que donne Kant du devoir. La nuit avant sa pendaison, il rêve que le philosophe le rejoint dans sa cellule et lui parle : « J’ai eu tort d’appeler les hommes à viser haut, trop haut. Pourquoi pas. J’ai trop cru à la raison, pas assez à la réalité du monde. Je plaide coupable ».

Notes et références
[1]
Introduction à l'ouvrage, page 6

 

Sélection bibliographique

Maxime Moraldo, « Michel Onfray (dir.), Le Canari du nazi. Essais sur la monstruosité », Lectures en ligne, Comptes rendus 2013, éditions Galilée, collection Débats, 97 pages, octobre 2012 , isbn 2718608781

* Le songe d’Eichmann, dialogue de Michel Onfray, lecture de Dominique Pinon au théâtre du Rond-Point, Histoires, nouvelles, récits, témoignages 18 lectures sur le thème des monstres, 2010-2011. (Songe d’Eichmann)

* Le postanarchisme expliqué à ma grand-mère : Le principe de Gulliver, Michel Onfray,

 

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 15:13
                Teilhard de Chardin : Le Phénomène humain

Le Phénomène humain est un essai philosophique et théologique écrit par le père Teilhard de Chardin qui paru en 1965 et fut réédité aux éditions du Seuil en 1970.

 

   Pierre Teilhard de Chardin, SJ (1881-1955) Son oeuvre maîtresse "Le Phénomène humain"

Présentation

Pierre Teilhard de Chardin possédait plusieurs champs d'activité, d'abord , théologien et jésuite, ce qui lui a valu quelques déboires avec sa hiérarchie, il fut aussi un paléontologue et philosophe écouté et reconnu dans les années cinquante.

 

Le phénomène humain qu'on considère généralement comme son œuvre la plus importante et donne une bonne idée de sa pensée qu'il reprendra dans des textes ultérieurs, est développé autour de trois volets. Les deux premiers sont complémentaires en ce sens qu'ils partent de l'apparition de la vie au sein du minéral et l'apparition de la pensée au sein du vivant.

 

Le dernier traite de la pensée humaine dans une "noosphère", unifiant atmosphère et biosphère et convergeant vers un point unificateur qu'il appelle le "point Oméga". C'est ainsi dans ce chapitre qu'on passe d'un travail essentiellement scientifique au point de vue du théologien chrétien, prenant une option plutôt dynamique et positive dans le rôle de l'évolution.

 

Dans cette œuvre qu'il nomme lui-même une "Introduction à une explication du Monde", il estime que la pensée dans ce qui fait sa spécificité, ses capacités de recherche et de découverte, représente le centre des possibilités d'évolution et qu'il est alors vital d'étudier « ce que devient et exige l'homme. »

 

Comme il a écrit dans un autre livre Le milieu divin, [1] qui synthétise bien sa pensée, lui qui cherchait un principe générateur et unificateur au monde, un être transcendant « capable d'opérer dans sa plénitude la synthèse de l'Esprit, [...] (car) il il n'y a qu'une manière possible de s'aimer : c'est de se savoir "surcentrés" tous ensemble sur un même " ultra-centre " commun, en qui les êtres ne puissent parvenir qu'à l'extrême d'eux-mêmes, qu'en se réunissant.

 

Informations complémentaires

Bibliographie

  • "La Place de l'homme dans la nature", sous-titré le groupe zoologique humain, fait suite au *"Phénomène humain" et développe les mêmes thèmes, réédition Albin Michel, février 1996, collection Espaces libres, isbn 2226084967
  • "Sur le bonheur : Sur l'amour", réédition Le Seuil, collection Points Sagesses, mai 2004, isbn 2020324563, qui se présente surtout comme un témoignage
  • "L'Énergie humaine", réédition Le Seuil, collection Points Sagesses, octobre 2002, 236 pages, isbn 2020526433, où il fait allusion à une l'énergie cosmique soumise à l'influence des activités humaines qu'il répartit en trois catégories : L'énergie incorporée (la machine humaine), l'énergie contrôlée, prolongement de l'homme par des machines, et l'énergie spirituelle de nos affections et de nos volitions. [2]
  • Biographie de Jacques Arnould, "Teilhard de Chardin", éditions Perrin, janvier 2005, 389 pages, isbn 2-262-02264-X

Notes et références 

[1] "Le milieu divin", essai de vie intérieure, réédition chez Le Seuil, janvier 1998

[2] Ensemble des actions par lesquelles la volonté se détermine à quelque chose

 

Liens externes

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 14:40

Bête noire est un récit-témoignage écrit par l'avocat d'assises Eric Dupont-Moretti et Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur judiciaire, sur les rapports entre le système judiciaire et la défense.

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tumb

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Référence : Éric Dupond-Moretti et Stéphane Durand-Souffland, "Bête noire", éditions Michel Lafon, 248 pages, avril 2012, ISBN 274991616X

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La "bête noire", c'est lui et la réputation qu'il a dans le milieu judiciaire, celui qu'on appelle aussi "l'acquitator', [1] alors qu'il s'exclame dans le journal La Provence, « je défends des hommes, pas des crimes. » De même, il dira dans une interview à "L'Express", qu'il « n'attend pas la vérité d'un homme mais une version cohérente. »

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Comme le disait Eric Dupont-Moretti lors d'une interview à France-Inter en avril 2012, il ne cherche pas, avec la publication de ce livre, à s'opposer de quelque façon que ce soit au système judiciaire français ou à se justifier sur tel ou tel de ses engagements. Il rappelle ce qu'il a maintes fois répété sur les origines de sa "vocation", « J’ai décidé de devenir avocat à quinze ans. C’était le 28 juillet 1976 et j’avais entendu à la radio que Christian Ranucci, l’homme du "pull-over rouge", avait été exécuté à l’aube. Ce n’est pas le récit d’une vocation que je fais ici, mais d’une sorte de fatalité. Je suis condamné à plaider. » [2]

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Son travail tel qu'il l'entend, sa profonde conviction, consiste à défendre autant la présomption d’innocence que le droit – pour les criminels quels qu'ils soient – à une peine qui soit considérée comme juste et varie le moins possible d’une cour d’assises à une autre. Sans être contre les magistrats, il traite des insuffisances du système français, l’absence de la notion d’humanité dans leur serment, qui figure dans celui des avocats. [3]

A travers son expérience et ses souvenirs, les grands procès d’assises où il a plaidé, il dresse un portrait peu flatteur d'une justice guettée par l'erreur judiciaire ou plus simplement par les petits "arrangements", l'influence de tel ou tel magistrat, tout ce qui biaise la crédibilité d'un verdict.

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     Eric Dupont-Moretti

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Commentaires critiques
« Eric Dupond-Moretti est un drôle de bonhomme. Il a un côté agaçant. Il peste contre l’absence totale de culture du doute en France, or lui ne semble douter de rien. Seul contre tous, il en veut à la terre entière - surtout à l’organisation judiciaire – et veut toujours avoir raison. Cela dit, c’est préférable quand on souhaite gagner ses procès. Son côté séduisant, c’est qu’il est franc, logique avec lui-même, rarement politiquement correct, et qu’il a, en plus, souvent raison, effectivement !. »
Yves Thréard, Le Figaro du 21 mai 2012

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« Eric Dupond-Moretti cite Claude Gueux, de Victor Hugo, qui narre l’histoire d’un détenu séparé de son compagnon - avec lequel il partageait son pain - par le directeur de la prison. Gueux tue ce dernier parce qu’il ne supporte pas cet arbitraire. «Hugo avait raison deux cents ans avant tout le monde», dit l’avocat. Lisez Claude Gueux. Vous en saurez un peu plus sur Dupond.. »
Didier Arnaud, Libération du 7 mai 2012

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Notes et références

  1. Voir son interview du 10 avril 2012 dans le journal du 13 heures de France2
  2. Peut-être aussi à cause de la mort de son grand-père en 1957, retrouvé le long d'une voie ferrée. Une mort restée inexpliquée, avoue-t-il dans la même interview
  3. Voir l'article "La présomption d'innocence est un leurre", Eric Pelletier et Anne Vidalie, L'Express du 5 avril 2012

Bibliographie
Christophe Perrin, Laurence Gaune, "Parcours d'avocat(e)s", éditions Le Cavalier bleu, 2010
Mathieu Aron, "Les grandes plaidoiries des ténors du barreau : Quand les mots peuvent tout changer", Editions Jacob-Duvernet, 274 pages, octobre 2010, ISBN 284724297X
Jacques Vergès, "Les Erreurs judiciaires", PUF, novembre 2002, 126 pages, ISBN 2130532225

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Liens externes
Vidéo France-Culture, Tête à tête avec Frédéric Taddeï
Dans-les coulisses de la Justice avec Dupond-Moretti

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