Référence : Régis Debray Du génie français, éditions Gallimard, Collection Blanche, 128 pages, septembre 2019

 

« Stendhal, c’est l’esprit français, mais Hugo, c’est l’âme. »

 

Dans la logique de son essai précédent sur le déclin français dans le  monde et son américanisation [1], Régis Debray se pose la question de  « l’art d’être français » et quel écrivain serait à même de mieux représenter cette singularité.


Une étude sur ce thème aurai permis de retenir deux postulants à cette distinction suprême : Arrive en tête Stendhal, assez loin devant Victor Hugo. Très intéressé et intrigué par ce choix, Régis Debray a résolu d’examiner à la loupe les mérites respectifs des deux impétrants à cette éclatante reconnaissance.
 


Et sa conclusion est limpide : Hugo d’abord, Hugo encore et toujours. L’exilé têtu et républicain convaincu serait-il vraiment la figure de proue du Français, plutôt que l’européen italianisant et bonapartiste ?
 

Pour Régis Debray, l’erreur serait plutôt choisir l’individualisme stendhalien contre la grandeur hugolienne. Très virulent quant à la situation actuelle de la France, notre état de « fils de nous-mêmes, sans dette envers quiconque », une société devenue une « juxtaposition d’insociables » qui n’ont plus guère de convictions et sont souvent des déracinés.

 

        

 

« La société des individus est à bout de souffle. »

 

Selon lui, Stendhal serait le « favori des gens bien » d’un « siècle impeccablement cynique et dépassionné » et Hugo, jugé souvent alors trop attentif au peuple et trop soucieux du commun.


En fait, comparaison ne vaut pas démonstration dans ce curieux combat et ce postulat que Stendhal serait le digne prétendant d’Hugo, même si on peut voir un ouvrage de Stendhal sur le portrait officiel d’Emmanuel Macron.

 

Si tout semble en première analyse opposer Stendhal et Victor Hugo, il faut reconnaître qu’ils sont en fait largement complémentaires. La volonté et la force de conviction d’un Hugo fait pendant à la légèreté et l’urbanité d’un Stendhal et ils incarnent  chacun à leur manière « une part du génie national. »

 

 

 

En fait, la question posée serait plutôt de savoir qui de Hugo ou de Stendhal est actuellement l’écrivain qui représente l'esprit français. C'est bien la véritable question qui intéresse Régis Debray, la "vraie question", et il répond sans hésiter Stendhal pour son individualisme, « sa préférence pour lui-même », qui correspond si bien à notre mentalité actuelle. Chez Hugo, c'est tout autre chose, l’individu n'existe réellement qu'en relation avec la société, quand il est un être social. Et il lui semble que vient maintenant le tour d'Hugo pour dépasser les tendances hédonistes et s'ouvrir aux autres.
D'où son constat : « La société des individus est à bout de souffle. »

 

           

 

Interview : De Stendhal à Macron

 

Ce qu’il confirme dans une interview faite à la revue des Deux-Monde : « Nous sortons du moment Stendhal, et on peut espérer un moment Hugo, même si c’est mettre la barre un peu haut. »

En mettant celui que Julien Gracq appelle « le plus antipopulaire des romanciers français » sur sa photographie officielle, Macron a pris un risque : celui d’afficher son idéal du moi. »

Il y voit un désir narcissique, la reconnaissance «  que l’on peut arriver à presque tout à partir de presque rien, schéma typiquement stendhalien et l’idée que l’on peut se passer aussi bien d’une doctrine que d’une base sociale. »

 

          

Plusieurs événements sociaux ont bouleversé ses belles évidences et celles des bourgeoisies d’argent et de compétence qui le soutiennent, ce qu’il appelle « leur blessure narcissique » leur ont rappelé que d’autres forces sociales existaient dont il faudrait bien tenir compte.

L’évolution sociologique du pays fait aussi que le pouvoir politique se trouve confronté à « une génération qui n’a rien connu de grand – et qui n’a même rien connu du tout. Une génération qui n’a jamais eu faim, ni soif, qui n’a jamais eu peur, qui n’a pas eu de grands rêves et qui n’a jamais vu un mort. On ne choisit pas sa date de naissance. »

 

Revenant ensuite sur la dualité Hugo/Stendhal, il note que Stendhal prône surtout le courage personnel (et non collectif) avec toutefois l’expérience  de la retraite de Russie, « il a vu Moscou brûler, les cosaques, la Berezina… Cela donne un recul et une profondeur à notre microcosme managérial… qui ignore tout  du tragique et de la souffrance ».

 

Il pense que maintenant Macron éviterait de mettre en avant aussi bien Stendhal que Gide, pas plus que Les Misérables d’ailleurs. Il lui paraît également compliqué de faire coexister Hugo et Stendhal, « un homme du monde et un homme d’univers, un sceptique et un croyant, un regard aigu mais limité à une voyance océanique. Ce serait comme comparer le bois de Boulogne et l’Amazonie »

Référence à un livre de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, quand le narrateur  dit à sa petite amie brésilienne : "En France, on manque d’Amazonie", ce à quoi elle répond : "Non, vous avez Victor Hugo." « Hugo a un environnement cosmique […], il raccorde l’individu à la nature. ».
 


Chez Hugo, au-delà de la sensibilité, il y a une transcendance car « il voit l’idée à travers le fait, le symbole à travers l’individu. » On peut ainsi dire que Stendhal est monocorde alors que Hugo est polyphonique tout en étant contradictoire.

Dans le même ordre d’idée, on peut aussi affirmer que Stendhal est européen et Hugo est "mondial", il s’adresse au peuple, celui de Paris par exemple, et traite en fait de l’universel dans les opprimés de tous les pays. C’est en ceci qu’il peut être revendiqué par tous les peuples.
 

Notes et références
[1] Régis Debray, Civilisation, éditions Gallimard, collection Blanche, 2017 --

 

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