Naguib Mahfouz L'organisation secrète et autres nouvelles

 

Référence : Naguib Mahfouz, L'organisation secrète et autres nouvelles, éditions Sindbad-Actes Sud, collection Bibl.arabe, traduction Martine Houssay ; 195 pages, juin 2018

 

       

 

Des inédits de Naguib Mahfouz, le prix Nobel de littérature auteur de la célèbre « Trilogie du Caire, » c'est bien sûr un événement.

Suite à une annonce de sa fille, Um Kulthum Mahfouz, 16 récits inédits de son père ont récemment été publiés. Les différentes nouvelles qui s'étendent sur une période de plus de vingt ans, ont été redécouvertes par un journaliste qui enquêtait sur la controverse suscitée par le roman de Mahfouz, « Awlad Haretna ». [1]

 

            
                                          Sa trilogie

 

Naguib Mahfouz a écrit en particulier plusieurs centaines de nouvelles mais sa plume s’est largement tarie pendant une dizaine d’années après la tentative d’assassinat dont il a été la victime en octobre 1994 parce qu’il avait soutenu l’écrivain anglais Salman Rushdi, victime d’une fatwa après la publication de son roman "Versets sataniques". [2]

 

   

 

Ce recueil offre la vision de la ville du Caire racontant le quotidien d’hommes et de femmes assez étranges, une Égypte multiple où se côtoient mystères et intrigues, nostalgie et réalisme mêlés souvent de drôlerie et d’extravagance. Les différentes nouvelles sont extraites de textes publiés entre 1962 et 1984 et sont marquées par le thème de l’absurde dans la vie quotidienne la plus banale.
On y trouve aussi des échos à sa période "pessimiste" quand par exemple en 1966 dans Dérives sur le Nil, il décrivait une société égyptienne en pleine déliquescence.

 

Même si après cette période difficile pour lui, il reprend espoir, « retrouvera son équilibre » comme il le dit lui-même, comme dans Récits de notre quartier en 1973, il gardera toujours son cap, défenseur de la liberté et de la justice, n'hésitant pas à dénonce dans Le jour de l'assassinat du leader en 1985 les effets néfastes de "l'ouverture économique" instaurée par le président Sadate.

 

La nouvelle qui donne son titre à l’ensemble rappelle les religions monothéistes : des membres d’une organisation secrète constate qu’elle est constituée de "familles" dirigée par une espèce de  caïd soumis lui-même à un mystérieux super chef.

 

         
Sa statue au Caire pl du Sphynx      Dans une rue du Caire


Les autres nouvelles sont à cette image comme celle d’un pauvre employé de bureau, fumeur impénitent de haschich, injustement inculpé de terrorisme, la mésaventure d’un journaliste, célèbre par ses enquêtes dans les “quartiers chauds”, dénonçant le sort des prostituées, et, âgé, oubliant que le racolage a été officiellement aboli, en partie grâce à lui… ou encore cette critique en demi teinte du nassérisme [3], histoire d’un conducteur de train qui le lance à tout vitesse, provoquant une terrible catastrophe.

 

       
Le Caire : deux lieux familiers à Naguib Mahfouz

 

Même l’amour, thème si cher à Mahfouz, bascule dans l’étrange comme ce personnage qui s’imagine épouser enfin la femme aimée vingt ans plus tôt et qu’il vient de retrouver dans une ruelle, quand un homme s’y fait agresser, maculant cet homme d’un sang indélébile…  Il s’amuse à lancer son lecteur sur de fausses pistes, maîtrisant particulièrement bien l’art de la chute.

 

On navigue souvent entre fantastique et réalité nous conduisant à hésiter entre plusieurs interprétations. Dans « La nuit sacrée » par exemple, où un ivrogne ne retrouve plus sa maison à sa place normale. Prenant alors un taxi, il se rend à son adresse sans plus de succès : d’autres personnes y demeurent, la décoration ne correspond pas, tout lui semble à la fois identique et quand même différent.

 

            

 

Notes et références
[1] Awlâd hâratinâ, publié en 1959 et traduit en français en 1991 sous le titre Les Fils de la médina. Il fut interdit par la censure égyptienne qui y vit une scandaleuse transposition de l'histoire sainte dans la chronique d'un quartier populaire cairote.
[2]
Il a accordé son pardon à ses agresseurs, affirmant que leur acte n'a rien à voir avec l'Islam et tout avec le fanatisme.
[3] Après la révolution nassérienne du 23 juillet 1952,il gardera le silence pendant 7 ans, reprochant au régime d'attenter à la liberté du peuple. En 1959, son ouvrage Les fils de la médina, paru en feuilleton dans le journal al-ahram, sera interdit de publication par le régime.  

 

Voir aussi
* Sur les traces de Naguib Mahfouz Au Caire --
* Naguib Mahfouz, Entretien inédit --
* Marie Francis-Saad, Du fils du pays à l'homme universel --

 

<< Christian Broussas – Mahfouz- 11/05/2019 • © cjb © • >>