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23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 18:16
L’histoire est surtout celle des puissants, des rois et des empereurs, des chevaliers d’industrie, des grands conquérants, de ceux qui ont laissé une trace et il est bien vrai qu’avec eux, on possède beaucoup plus de données, de témoignages, d’archives que pour le commun des mortels. 

               

Dans les années 60-70, des ouvrages emblématiques comme Le dimanche de Bouvines de Georges Duby en 1973 ou Montaillou village occitan d’Emmanuel le Roy Ladurie en 1975 avaient indiqué la voie et montré qu’on pouvait aborder l’histoire autrement, en traquant dans les documents préservés du temps et les archives, les tendances profondes du temps passé sur une terre donnée, et la vie de ses habitants, en ayant une approche de l’histoire beaucoup plus sociologique.

              

 Dans cette optique, un roman comme Jacquou le croquant d’Eugène le Roy donne une idée assez réaliste de ce que pouvait être la vie du monde paysan dans la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’à la Révolution. Comme quoi, certains romans historiques ne sont pas que des romans de gare assaisonnés à la sauce d’une histoire revue et corrigée.
Si, poursuivant la voie tracée par  Fernand Braudel, le courant de l’École des Annales a développé cette vision de l’histoire, elle perdure dans des ouvrages récents sur la fin de la royauté [1] ou le Paris de la Révolution. [2]

Le parcours du paysan à travers les siècles n’a pas été un chemin de Damas ni une promenade de santé. De santé justement, il a souvent été question, qui fut souvent mise à mal par les calamités aussi bien humaines que naturelles si nombreuses et récurrentes qu’il devait les considérer comme inhérentes à  sa condition.  

                  

Les jacqueries, les révoltes de toutes sortes foisonnent dans tous les pays du monde. Le peuple n’avait guère comme refuges que la religion fondée pendant très longtemps sur le péché et la peur ou des pratiques basée sur le mysticisme. Aucune solution rationnelle n’étant à ses yeux satisfaisante, en désespoir de cause, il recourrait volontiers à des pratiques spirituelles ou même ésotériques pour conjurer le sort qui lui était fait.   
De la fin de la guerre de Cent Ans en 1453 à l’avènement effectif de Louis XIV en 1661, les paysans étaient tellement soumis aux aléas climatiques et politiques, pressurées par les pouvoirs centraux et seigneuriaux, qu’ils pensaient d’abord aux moyens de survivre, avant de se révolter.

La fin de la guerre de Cent Ans a malheureusement été suivie d’autres guerres civiles qui ont ravagées le pays à plusieurs reprises, notamment les guerres de Religion qui se sont même prolongées au-delà du XVIe siècle et la Fronde au milieu du XVIIe siècle, dont les populations les plus pauvres ont le plus souffert.

     
Chroniques de St-Denis XIVe siècle      La jacquerie en BD


Pendant toute cette période en particulier, le quotidien des campagnes était donc rythmé par la guerre, des maladies comme la peste et le choléra aboutissant à des disettes et des famines. On en voit bien les conséquences directes comme les loups qui entrent dans Paris en 1439, des villages entiers totalement  désertés comme en 1562 ou tel que le rapporte un prêtre de Montauban, en quelques mois pendant l’année 1639, disparaît 15 % de la population. 

Certaines années comme en 1439, de grandes inondations emportent tout sur leur passage, en 1565 par exemple, l’hiver assez doux est suivi  de terribles gelées qui hypothèquent les récoltes. Après plusieurs années de très mauvaises récoltes, la famine emporte le tiers de la population de l’Anjou en 1544.

          
La Grande jacquerie de 1358         Peste noire à Nîmes au XVe siècle 


En 1608, celui qu'on a appelé le « grand hiver » a précédé un été caniculaire dont la population mettra plusieurs années à se remettre. Pendant les quelques bonnes années, on s'empresse de planter des prairies, on assèche des marais, privilégiant l'élevage comme en Limousin. mais il est vrai que les périodes de répit, entre trêves et intempéries, sont rares et assez courtes. 

          
Croisades des pastoureaux 1251 et 1320   

Révolte des Tuchins en languedoc-Auvergne

Pendant toute la première moitié du XVIIe siècle, sous Richelieu et Mazarin, le pouvoir royal sécurise le pays, l'insécurité due aux chemineaux et bandes des grands chemins diminue fortement. Mais l'augmentation continue des impôts provoques des soulèvements sporadiques, les Bonnets rouges en Bourgogne, les "Tards-Avisés" ou croquants du Bas-Limousin en 1594, les Pitauds charentais qui refusent la gabelle ou les croquants du Périgord sous Louis XIII.

Les informations concernant les variations et les calamités climatiques proviennent surtout des chroniqueurs, et en premier lieu des chroniqueurs locaux, les villes dépendant essentiellement des campagnes pour leur ravitaillement, suivent de très près ces évolutions. L'église aussi joue un rôle irremplaçable en tenant les registres paroissiaux, mines de renseignements qui n'ont pas forcément toujours été bien exploitées par les  historiens.

Révolte des cabochiens 1413

Notes et références
[1]
Jean-Marc Moriceau, "La mémoire des croquants", ou les derniers moments de la royauté, Marie-Antoinette à Versailles à travers les yeux d’un enfant adopté puis rejeté par la reine, Tallandier, 606 pages, 2018
[2] Christian Chavassieux, "La vie volée de Martin Sourire", 400 pages, 2017, La vie d’un adolescent dans le Paris de la Révolution


Repères chronologiques
Jacqueries médiévales
1434-36 : Révoltes paysannes, contre les Anglais, en Normandie

1442 : Soulèvements en Anjou
1489 : Révolte anti-seigneuriale, en Basse-Bretagne
1492-93 : Jacqueries en Faucigny (74) et en Alsace
Révoltes au XVIe siècle
1524-26 : révolte des Rustauds en Alsace-lorraine
 1589 : Révolte anti-seigneuriale, en Auvergne et Dauphinois, Soulèvement des Francs-Museaux, en Languedoc
1591-92 : Grèves fiscales en Languedoc et soulèvement en Bourgogne


Vagues de jacqueries1634 : Révolte des Croquants du Quercy
1639 : Révolte des va-nus-pieds en Normandie,
1639 : Révoltes paysannes, en Auvergne, Rouergue, Dauphiné, Vallée du Rhône, Languedoc contre la cherté du blé, taxes, impôt royal triplé,
1648-49 : Révolte paysanne antimilitaire et antifiscale au temps de la Fronde


  Jacqueries dans la France du nord

Voir aussi
* Georges Duby, "L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval", Aubier, 1962
* Emmanuel Le Roy Ladurie, "Histoire des paysans français : de la peste noire à la Révolution", 2002,
"Les Paysans français d'Ancien régime", Le Seuil, 2015, "La Civilisation rurale", Allia, 2012
* Fernand Braudel, "Histoire économique et sociale de la France", PUF, 1977
* Marc Bloch, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, 2006
* Yves-Marie Bercé, Histoire des croquants, soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le sud-ouest, Droz, 1974
* Jean-Pierre Le Goff, La fin du village, 2012

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<< Ch. Broussas, La paysannerie française 23/05/2020 © • cjb • © >>
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