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10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 21:23

Référence : Laure Adler, La voyageuse de la nuit, éditions Grasset, 224 pages, septembre 2020

 

Le titre est tiré d'une citation de Chateaubriand dans "La vie de Rancé" :  « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée; elle ne découvre plus que le ciel ».

 

    

 

Jusqu’à présent, je connaissais Laure Adler surtout pour ses biographies, celle de Marguerite Duras et celle de François Mitterrand, qu’elle a bien connu et en dresse également un beau portrait dans un livre-témoignage intitulé L’année des adieux.

 

 

Déjà en 1970, Simone de Beauvoir écrivait que la société pensait que le vieillard était non son semblable mais un être différent, soit mis sur un piédestal comme un Sage vénérable, soit comme un type plus ou moins sénile. Elle écrivit ce livre parce que dit-elle « il est nécessaire de briser ce silence. »

 

            
Simone de Beauvoir          Roland Barthes                 Annie Ernaux

 

« J'ai tout fait trop vite, trop tôt » dit  Laure Adler dans une interview, elle qui s’attaque à un sujet que « personne ne veut entendre parler ». Elle l’aborde en effet de façon frontale et avec justesse, voulant briser la « conspiration du silence » traitant d’un domaine qui en général ne fait guère recette, parlant sans ambages des tabous dont sont entourés les EHPAD.

Sur ce sujet, Laure Adler dénonce les prix exorbitants que pratiquent les Ehpad, leur niveau de qualité et la sous-valorisation du personnel qui y travaille. Une dénonciation pour une prise de conscience d'une meilleure considération des personnes âgées.

 

         
Françoise Giroud             Laure Adler et son mari Alain Veinstein

 

« Est-ce un hasard si, après les récents cimetières situés en dehors du cœur des villes, les nouveaux EHPAD sont, eux aussi, pour la plupart, loin du cœur de la cité ?  »

 

Elle part de ce constat d’évidence que « on est toujours la vieille ou le vieux de quelqu'un, alors autant s'y préparer. » Mais ça ne signifie pas qu’il faille traduire vieillesse par retraite. Cette journaliste-née et grande amatrice de littérature convoque pour cela les écrivaines qu’elle admire comme Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Annie Ernaux, ou le philosophe Roland Barthes qui dit être devenu « le père de sa mère », dans son "Journal de deuil". Peut-être que la vieillesse commence quelque part par le traumatisme né de la perte de ses parents.

Dans son essai, elle a aussi convoqué bon nombre d'écrivains parmi lesquels Edgar Morin, Victor Hugo, Stéphane Hessel, Marcel Proust, George Sand, Voltaire... du beau monde pour étayer et illustrer son propos.

 

                  

 

Emmanuel Macron a participé lui-même à cette tendance en véhiculant l’idée qu’il valait mieux être (comme lui) jeune et en bonne santé, que l’économie et ceux qui travaillent priment sur tout le reste et même que les vieux possèdent un patrimoine supérieur aux jeunes. Pendant la campagne électorale, on ne lui a guère reproché d’être trop jeune, de manquer d’expérience et d’être ainsi « perçu comme un handicap. » Nous ne sommes à l’époque où Georges Clémenceau pouvait revenir au pouvoir à l’âge de 77 ans.
Même si son récit peut parfois avoir un goût doux-amer, il n’en demeure pas moins qu’il a un ton d’ironie roborative soutenu par une grande sincérité.

 

         
                                           Laure Adler er Emmanuel Carrère

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5 août 2020 3 05 /08 /août /2020 15:06

Fragilité du monde et des civilisations

« Le destin passe et repasse à travers nous, comme l'aiguille du cordonnier à travers le cuir qu'il façonne. » Amin Maalouf - Le rocher de Tanios

 

  Amin Maalouf à Strasbourg en mai 2019

 

À l’image de son roman Léon l’Africain, qui l’a fait connaître, où son héros fuit l’inquisition à Grenade pendant la Reconquista, l’Égypte lors de sa prise par les Ottomans ou lors du sac de Rome par les Espagnols, Amin Maalouf nous avait habitué à ses personnages bousculés par le destin, que la vie ballote d’un côté à un autre selon le hasard de leur naissance et de leurs pérégrinations.  

 

 

Tanos le héros du Rocher de Tanos qui lui vaudra le prix Goncourt, sera aussi contraint à l’exil après l'assassinat d'un chef religieux, et dans Les Jardins de lumière, Mani le philosophe, en des temps très anciens, sera persécuté pour sa tolérance. Dans Le périple Baldassare, il nous emmène affronter  des tempêtes, des pirates et des guerres.

Mais ici c’est l’Amin Maalouf essayiste qui nous intéresse à travers ses trois ouvrages de sociologie historique que sont Les identités meurtrières, Le dérèglement du monde et Le naufrage des civilisations.

 

 

 

Amin Maalouf nous a habitués à ses analyses percutantes, ses intuitions qui se vérifient souvent, tant son esprit semble coller aux événements qui ponctuent la marche du monde.
Il y a une vingtaine d’années, il avait déjà senti l’émergence de ce qu’il nommait des « identités meurtrières » où il abordait  déjà le thème de l’identité dont il disait qu’il représente une construction variable qui prête le flan à beaucoup de fausses idées.

  
Amin Maalouf et Maryse Condé

Dans Les identités meurtrières, il aborde la question d'appartenance collective, qu'elle soit culturelle, religieuse ou nationale. Ce besoin qu'on peut comprendre est aussi synonyme de peur de l'autre. Il faut absolument dépasser cette violence car la différence de langue, de foi et de couleur, l'altérité peuvent aussi être une richesse.

 

    
Avec Jean-Christophe Rufin à l'Académie française     Avec sa femme Andrée

 

Amin Maalouf puise dans son expérience et sa réflexion pour cerner le concept fondamental d'identité et montrer qu'elle n'est pas une constante, elle peut varier selon les circonstances, loin des illusions, des pièges et des instrumentalisations qu'elle suscite. Il ne voit comme espoir qu'un comportement qui refuse l'uniformité mondiale ou au contraire le repli dans le cocon familial ou un cercle restreint. 

 

 

Plus récemment, dans « Le dérèglement du monde », il décrit un monde marqués par de multiples dérèglements, qu'ils soient intellectuel avec le refuge identitaire, économique et financier avec son instabilité cyclique, climatique avec la prééminence de l'économie libérale ou enfin sociétal avec la perturbation des systèmes de valeurs.
C'est à partir de cette démarche qu'il parle de « seuil d'incompétence morale. »

Ce livre est un essai pour comprendre, pour expliciter la situation actuelle, sa genèse, son contexte et la façon dont il serait possible de la dépasser. Pour l'auteur, l'élément essentiel est l'épuisement de la civilisation occidentale et du Monde arabe.
Mais cette épreuve pourrait aussi être salutaire en nous obligeant à revisiter nos croyances, nos différences et la façon d'envisager l'avenir de la planète.

 

  

 

Dans Le naufrage des civilisations, paru en 2019, il est encore plus pessimiste, pensant que c’est notre civilisation elle-même qui est en cause. Exit la prééminence des États-Unis et même d'une Europe dont la démocratie  socio-libérale ne fait plus rêver et n'est plus une référence.

Les nouvelles grandes nations dominantes, telles que la Chine, l'Inde ou la Russie jouent la carte de l'égoïsme nationaliste. Elles ne peuvent donc pas servir de références, d'exemples à d'autres pays émergents ou aux pays pauvres.

 

Amin Maalouf voit deux événements essentiels, deux déclencheurs de la situation mondiale actuelle :
* La guerre israélo-arabe de juin 1967 qui a déstabilisé les pays arabes et démoralisé leurs peuples. Nasser a été déboulonné de son piédestal laissant un vide abyssal bientôt comblé par un nationalisme exacerbé apte à faire le lit du terrorisme. C'est ainsi que  « les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde. »

 

     

 

* L’année 1979 constitue le « tournant décisif, » un point d'orgue avec la naissance de la République islamique d’Iran, un nouveau régime au Pakistan qui veut appliquer la loi coranique, des islamistes qui attaquent la grande mosquée de La Mecque, les États-Unis qui aident les islamistes afghans et la Russie soviétique qui entre en guerre contre l'Afghanistan.
Amin Maalouf y voit des conditions favorisant l'instabilité, à même de provoquer une grande période de tumultes et de violences.


L'époque est au pessimisme et les peuples ont tendance à se replier sur eux-mêmes et à rechercher la sécurité, une situation qui ne peut qu'hypothéquer l'avenir.  
Il sait les dérapages toujours possibles, même s'il tente de découvrir dans les événements récents ceux qui sont le plus porteurs d'espoirs.

 

Voir aussi
Amin Maalouf, Le naufrage des civilisations --

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24 juin 2020 3 24 /06 /juin /2020 20:30

Référence : Alain Missoffe et Philippe Franchini, "Femmes de fer", Éditions Tallandier, 336 pages, juin 2020

 

Les « Femmes de fer » de la famille de Wendel

 

         
                                                          Hélène Missoffe avec Jacques Chirac

Chez les de Wendel la nostalgie est toujours ce qu’elle était. Peut-être même plus marquée maintenant que les maîtres de forge apparaissent plutôt comme les liquidateurs de la sidérurgie française, toute une époque révolue, celle de l’aristocratie industrielle imbue de son rôle économique et politique. Elle dominait la politique locale et hantait les cénacles du pouvoir politique à Paris, jouant sur les deux tableaux, hobereaux locaux dans leur chasse gardée et toujours bien placés dans les structures politiques, siégeant au Parlement, ministres à l’occasion, mélangeant leurs affaires et la politique.

Une autre façon d’écrire l’histoire des de Wendel et au-delà des grandes familles qui s’étaient taillé une belle principauté industrielle à l’image des Schneider ou des Michelin.
 

   
Mme François de Wendel née Odette Humann
Mme Maurice de Wendel née Andrée des Monstiers-Mérinville

Mme Jean Charles de Wendel née Marguerite d’Hausen

 

Alain Missoffe lui, a choisi de dérouler le fil historique à l’aune des femmes, 15 portraits de cette belle lignée au ré de trois siècles d’Histoire. Des "femmes de fer" comme il dit, ce qui pour une lignée de sidérurgistes est assez logique. Et cette lignée peut exhiber ses plus beaux fleurons, de Marguerite de Wendel (1720-1802) à Hélène Missoffe (1927-2015), en passant par Andrée qui fit paraît-il briller le nom des maîtres de forges dans le Paris des Années folles, Thérèse de Hauteclocque, l’épouse du maréchal Leclerc ou encore Dexia, surnom d’Élisabeth de la Panouse, résistante qui y entraîna aussi ses filles. [1]
 

La geste familiale débute avec Marguerite dans la belle ville d’Hayange, qui se dressera vaillamment contre les révolutionnaires de 1793 pour sauver le patrimoine. Le féminisme chez elles étaient naturelle, une affaire de famille, un peu comme la particule, comme dit-on Joséphine (1784-1872), devenue veuve très jeune, qui restera en Lorraine, fera prospérer l’entreprise et versera dans le social pendant que son fils fera construire l’hôtel particulier de la rue de Clichy à Paris.
 

         
Françoise de Panafieu et sa mère Hélène Missoffe
Le couple François et Hélène Missoffe

 

Et il y a Hélène, sa chère mère qui mènera de front ses activités domestiques, son engagement pour le sort des femmes qui élèvent seules leurs enfants et son engagement politique. Femme du cacique gaulliste François Missoffe [2] qui lui laissera son siège de député, elle entrera ensuite dans le gouvernement de Raymond Barre. Mais surtout, ne dites pas qu’en 1984, elle défendit bec et ongles l’école privée catholique contre la Gauche.
« Elles acceptent pleinement, ajoute Alain Missoffe qui ne manque pas d’un certain humour, le milieu dans lequel elles sont nées. » dans la famille Missoffe, on peut aussi citer leur fille députée de Paris Françoise de Panafieu. [3]

 

         
Élisabeth de La Bourdonnaye née de La Panouse, de Wendel par sa mère
Thérèse Leclerc de Hauteclocque

 

C’est une famille parfois confrontée à des choix cornéliens comme cette pauvre Berthe dont le mari Henri de Wendel en 1872 doit choisir, le pauvre chéri, entre rester français et se laisser confisquer ses entreprises situées en France annexée ou et les conserver en devenant allemand. Que croyez-vous qu’il choisît !
Et avec ça, il se fit engueuler par des beaux-parents furieux de son choix. À vous dégoûter de défendre son patrimoine familial. La pauvre Berthe en aura ce cri du cœur : « Nous restons ici comme une épave de France au milieu de la marée montante ».
Mais rassurons-nous, l’épave encore fort admirable ne fut pas emportée par les flots impétueux de la marée.

 

                   

Le XVIIe arrondissement : une affaire de famille

Françoise de Panafieu commence sa carrière au début des années 70 en tant que collaboratrice du député du XVIIe arrondissement de Paris, qui n'est autre que son père. En 1979, elle devient conseillère de Paris pour ce même arrondissement. Députée RPR de 1986 à 1995, elle cède son siège à son suppléant lorsque Alain Juppé la nomme ministre du Tourisme. Remerciée 6 mois plus tard, la "juppette" poursuit sa carrière politique dans la capitale. En 2001, elle devient députée-maire du XVIIe arrondissement. Candidate officielle UMP à la mairie de Paris, elle affronte Bertrand Delanoë en 2008.

 

Notes et références
[1] La Comtesse Elisabeth de la Bourdonnaye (nom marital) est la fille du Général Louis de la Panouse et de Sabine de Wendel
[2]
 François Misoffe (1919-2003) fut ministre de la Jeunesse et des Sports de 1966 à 1968. Sa femme, Hélène Missoffe, fut députée RPR de Paris et sénatrice du Val-d'Oise entre 1974 et 1995.
[3] Dans la famille de Panafieu, on peut citer aussi l'oncle Jean-François Poncet, ambassadeur et ministre des Affaires étrangères 1978-1981) et le cousin baron Ernest-Antoine Seillères, président du MEDEF de 1997 à 2005

 

Repères bibliographiques
Document utilisé pour la rédaction de l’article  Jean-Noël Jeanneney, "François de Wendel en République : L'argent et le pouvoir 1914-1940", Perrin, 2004
Document utilisé pour la rédaction de l’article Sophie Coignard et Romain Gubert, "Ces chers cousins - Les Wendel, pouvoirs et secrets", éditions Plon, 2015.
Document utilisé pour la rédaction de l’article Pierre Garelli, "Les Wendel et leurs alliances", Presses du village, 2008.

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22 juin 2020 1 22 /06 /juin /2020 21:04

         
Edgar Morin chez lui à Montpellier, en novembre 2018
 

« Nous devons vivre avec l'incertitude. » Edgar Morin
 

Confiné dans sa maison à Montpellier pour cause de virus, Edgar Morin observe la société comme il l’a toujours fait, disant que « la crise épidémique doit nous apprendre à mieux comprendre la science et à vivre avec l’incertitude. Et à retrouver une forme d’humanisme. »

S’il ne prétend pas avoir prévu l’épidémie actuelle, il précise quand même que depuis déjà plusieurs années, la dégradation de la biosphère ne peut qu’engendrer des catastrophes.

 

      
 

Pour le grand public, la science est descendue de son piédestal. L e président de la république s’était entouré d’un bel aréopage de spécialistes, le conseil scientifique, tout allait rentrer dans l’ordre. Mais envolées ses belles certitudes : ils n’étaient pas fichus de se mettre d’accord, se contredisaient parfois sur les préconisations, les solutions à mettre en œuvre pour faire face à l’urgence sanitaire… autant de polémiques propres à instiller le doute dans l’esprit du bon peuple.
 

       
 

C’est pourtant cette dynamique qu’il faudrait lui expliquer. Certains débats ont par exemple permis de poser nettement le problème de l’alternative entre urgence et prudence. Ces débats ne sont pourtant pas récents qui avaient en leur temps alimenté les controverses à propos du sida. Et justement ces controverses représentent un aspect essentiel de la recherche pour qu’à force de confrontations, la science parvienne à progresser.
 

Selon Edgar Morin, le problème est que « très peu de scientifiques ont lu Karl Popper, qui a établi qu’une théorie scientifique n’est telle que si elle est réfutable, Gaston Bachelard, qui a posé le problème de la complexité de la connaissance, ou encore Thomas Kuhn, qui a bien montré comment l’histoire des sciences est un processus discontinu. »
 

     


Il faudrait d’abord qu’ils connaissent leur apport inestimable et cessent d’être dogmatiques avant toutes démarches pédagogiques. Cette démarche rejoint un des thèmes majeurs d’Edgar Morin basé sur la complexité des systèmes. Ce qui le conduit à cette réflexion : « La science est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées, bien que ses modes de vérification soient plus rigoureux. »
Si la crise a une vertu, c’est bien qu’elle peut faire prendre conscience aux citoyens comme aux chercheurs, qu’aucune théorie scientifique n’est absolue, « comme les dogmes des religions, mais biodégradables... »
 

       

 

Cette interaction complexe entre catastrophe sanitaire et confinement, qui oblige à modifier nos comportements, devrait aussi nous inciter à réfléchir à la convergence entre les crises à la lumière du concept d’incertitude.
La  covid 19 nous met ainsi au cœur de l’incertitude, aussi bien sur son origine, ses cibles et ses conséquences socio-économiques.

 

La question centrale est qu’il faut apprendre à vivre avec ces crises cycliques. Avec l’aléatoire et l’imprévisible, alors qu’on nous a appris le contraire, alors que l’incertitude est vraiment le fondement de la condition humaine. Il n’existe aucune assurance absolue pour nous couvrir contre tous les aléas de la vie car « vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. »
 

       

 

Cette manière de penser est la résultante de son expérience, de ces événements improbables qui ont parsemé son existence. Fort de ce passé, il s'attend à ce qu'il se produise demain ou plus tard des faits qui le mettent dans des situations nouvelles auxquelles il lui faudra faire face en apprenant de nouveaux comportements.  
« Attends-toi à l’inattendu, » se répète-t-il souvent.

Il se dit préoccupé par les errements « du développement techno-économique animé par une soif illimitée de profit et favorisé par une politique néolibérale généralisée... qui provoquent des crises de toutes sortes. » Ce qui paradoxalement le prépare à affronter l’inattendu.

 


Caractéristiques du complexe

 

Le néo-libéralisme actuel accentue la détérioration des conditions de travail et il ne faudrait pas que la crise accentue le phénomène.

Cette crise a en tout cas conforté les élans de solidarité, le meilleur exemple étant bien sûr l'enthousiasme à l'égard du monde de la santé et cette expérience permettra peut-être de prendre du recul par rapport « à cette culture industrielle dont on connaît les vices. »

 

           
 

Mais au niveau mondial, il en est tout autrement, même si tous les pays étaient soumis à des problèmes écologiques identiques et qu'en plus, ils sont interdépendants. Tant que l'humanité ne se considérera pas comme « une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur»

Cette crise peut permettre de se "désintoxiquer" de notre culture industrielle et de réactualiser des fondamentaux refoulés aujourd'hui tels que l'amour, l'amitié, la communion, la solidarité, éléments phare de la qualité de la vie. 

 

                  

 

Voir aussi mes fichiers
* Edgar Morin Mes philosophes -- Actualité et complexité --
* Edgar Morin, Les souvenirs viennent à ma rencontre --

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1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 13:49

Référence : Daniel de Roulet, Dix petites anarchistes, Éditions Buchet Chastel, 144 pages, octobre 2018

 

« Ni dieu, ni chef, ni mari »

 

        

 

La Suisse fut vers la fin du XIXe siècle un pays de petites exploitations agricoles souvent assez pauvres, à peine industrialisé par les débuts de l’industrie horlogère. Les  paysans, comme d’autres pays comme l’Irlande ou en France dans les petites exploitations montagnardes, préféraient quitter cette vie précaire et sans attraits pour aller chercher fortune ailleurs. Phénomène largement répandu d’européens qui émigraient sur tous les continents et d’abord en Amérique, alors qu’un siècle plus tard, ce sera le mouvement inverse d’une population émigrant du Sud vers le Nord et l’Europe en Particulier.  

 

       

 

Dans l’industrie horlogère naissante, les petites mains étaient exploitées et rêvaient d’une vie meilleure. En 1872, la Commune est encore dans les têtes et sans doute de lointains échos se sont fait entendre jusque dans ce vallon jurassien encaissé, à Saint-Imier où l'auteur a grandi, non loin de La Chaux-de-Fonds, l’horlogerie éclot. Les futures petites anarchistes y sont ouvrières, des régleuses, des viroleuses-centreuses…

 

En 1872, les sections de la Ire Internationale qui refusaient les décisions du Congrès de La Haye excluant Bakounine, choisirent de se réunir à Saint-Imier, petite cité de la partie francophone du canton de Berne.
Cette rencontre inopinée et les idées développées par Bakounine vont se projeter dans les rêves d’une autre vie de jeunes filles prêtes à tenter l’aventure. [1]

 

 
De Saint-Imier à Punta Arenas

 

Elles sont fascinées, découvrent un autre monde possible, des mots à mettre sur leurs sentiments, des possibilités qu'elles ne soupçonnaient même pas, sur leur désir d’indépendance, les mots qui sont par exemple anarchisme, Internationale, révolution sociale.

 

L’anarchisme pour ces dix femmes, c’est d’abord la rencontre entre des rêves d’avenir se heurtant à la dure réalité de la condition ouvrière et des idées nouvelles pour elles, l’éveil à la liberté, l’espoir d’un possible.

 

         

 

Parmi les ouvriers et les ouvrières qui écoutent béats les discours enflammés de Bakounine, dix jeunes femmes se voient déjà créer une communauté basée sur « l’anarchie à l’état pur ». Valentine Grimm, la dernière survivante, la sœur de Blandine, décide d’écrire leur aventure qui les conduisit de Suisse en Argentine, de la Patagonie jusqu’à Buenos Aires, en passant par l’île de Robinson Crusoé.

 

L'auteur rajoutera à leur périple quelques rencontres avec des personnages historiques comme Louise Michel et d’autres déportées de la Commune, l’anarchiste italien Errico Malatesta [2] qui entretiendra une correspondance suivie avec Mathilde, l'une des jeunes filles de Saint-Imier ou le colonel Falcon, chef des forces répressives argentines.

 

    

 

Ces jeunes femmes viennent d’un milieu paysan, ayant en toute circonstance, même avec des rêves plein la tête, toujours les pieds sur terre. Elles en ont aussi le langage, rugueux, ne se payant pas d’abstractions, dotées de "l’intelligence matérielle" du bon esprit paysan. Elles savent aussi que le voyage ne serait pas une promenade de santé, qu’il serait jonché de difficultés.

 

Leur voyage au long cours commence par la traversée de la France, Belfort, Paris, Le Havre, puis Brest pour embarquer sur La Virginie, direction Punta Arenas au Chili. En route, on cherche à profiter d’elles mais des amis communards déportés les protègent jusqu’à l’escale de Nouvelle-Calédonie. Cela n’empêche pas les difficultés et les drames comme celle qui mourra avec son nouveau-né sur le bateau. À leur arrivée, elles ne sont plus que sept, accompagnées de huit enfants avec cette montre-oignon qui  leur rappelle leur village d’origine.

 

Après quelques années passées à Punta Arenas où elles ouvrirent « La Brebis noire », un commerce polyvalent qui servait aussi d’accueil aux nouveaux venus d’Europe, elles décident de participer à une colonie libertaire qui s’installe dans l’archipel Juan Fernández, sur l’île de Robinson Crusoé, impulsée par quelques Français et Italiens qui veulent fonder « une zone autonome temporaire, comme une société de pirates ».

 

Mais elles entrèrent vite en conflit aves Alfredo de Rodt le potentat local et préfèrent partir à Buenos AiresBenjamin a créé un syndicat de boulangers. Ce sera leur ultime expérience  faite de nombreuses difficultés, Buenos Aires où elles laisseront des graines d’espoir de vie meilleure et les nombreux enfants élevés ensemble.

 

On peut suivre leur démarche à travers les débats entres femmes et entre membres de la communauté anarchiste, par exemple dans les lettres échangées de part et d’autres des océans. « Est-ce qu’on ne finirait pas par s’ennuyer ? », se demande Valentine quand elle veut fonder une colonie anarchiste, se situant entre une vision trop utopique et un socialisme trop rigoureux.
Elle refuse la voie parlementaire, se méfie de l’activisme de certains militants et même de l’usage de la violence.

 

     

 

Au fil de leur périple, leurs conceptions évoluent : de la construction d’une communauté idéale, en se frottant à la réalité, elles passent  aux luttes ouvrières et à la constitution de syndicats, sans rejeter a priori le recours à des attentats pour répondre à la violence des possédants. Mais Valentine la narratrice n’est pas forcément très optimiste sur le devenir de leur expérience, écrivant que  « ce qui compte, ce n’est pas de réaliser l’utopie de l’anarchie, c’est d’être anarchistes  ».

 

Notes et références
[1] Michel Bakounine, "Trois conférences faites aux ouvriers du val de Saint-Imier", Canevas, 1990
[2] Errico Malatesta, Écrits choisis, Éditions Le Monde Libertaire, Collection Bibliothèque Anarchiste, 207 pages, octobre 2006

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9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 21:46
Références : Jacques Attali, L'année des dupes Alger 1943, éditions Fayard, 349 pages, 2019

       

« Donner des droits aux Juifs, c’est pousser les musulmans à en réclamer ; et ça, pas question. » 

1943, année charnière où on ne sait pas clairement dans quel camp la victoire va se dessiner. En Algérie, une rupture va se produire avec le débarquement allié. Mais Jacques Attali se pose la question du sort des juifs dans ce qui est encore une colonie française.

  Jacques Attali avec Nathalie Baye

Et la situation n’est pas brillante : Vichy, de sa propre initiative, a ouvert de véritables camps de concentration qui vont perdurer après le débarquement américain, « récit, dit-il, d’un épisode incroyable, trop souvent censuré, de l’histoire de France, de l’histoire de l’Algérie et de celle de la Seconde Guerre mondiale. »

  

Comme souvent, roi de la prospective, il y voit des indices éclairant « d’un jour nouveau la situation géopolitique mondiale d’aujourd’hui. » Et effectivement, la situation est assez contrastée puisque l'antisémitisme connaît de résurgences sporadiques dans le monde.

  

L’histoire des Juifs d’Algérie elle aussi est contrastée. Ils reçurent en 1870 la citoyenneté française mais restèrent des sous citoyens victimes de discriminations, et plus encore avec l’arrivée au pouvoir de Pétain. On leur retira leur citoyenneté, les menaçant de leur faire porter l’étoile jaune et de les envoyer dans des camps au Sahara.


                                                          Pétain à Vichy en 1943
 

L'histoire débute effectivement en 1870 avec le décret Crémieux, nom du ministre de la justice, qui attribue la citoyenneté française aux « israélites indigènes d'Algérie », c'est-à-dire quelques 35 000 personnes. Mais beaucoup avaient peur que toute avancée dans ce domaine soit généralisée aux musulmans. 

  Jacques Attali avec Anne Hidalgo

En 1936, à l'époque du Front populaire, dit le projet Blum-Viollette, du nom d'un ancien gouverneur de l'Algérie, visait à étendre à quelque 25 000 musulmans la citoyenneté française tout en leur permettant de conserver leur statut personnel lié à leur religion. Mais cette réforme, qui avait suscité tant d'espoirs, ne fut jamais mise en place.

            

Quant aux Juifs, deux gouvernements français successifs leur retirèrent leur citoyenneté  : un gouvernement collaborant avec les nazis; puis un autre en collaboration avec les Américains.
Des Juifs à qui des dirigeants français, hors de toute présence allemande, se préparaient à faire porter des étoiles jaunes et qu’ils s’apprêtaient à enfermer dans des camps de concentration sahariens. 

           

À l’époque, l’Algérie est un mélange détonnant de vichystes proaméricains, d’Américains pétainistes, de résistants maréchalistes, grenouillant dans ce bouillon de culture. Il aborde aussi bien les bagarres entre Français avec la rivalité entre De Gaulle et le général  Giraud, l'antisémitisme de certains dirigeants américains, la collaboration active des chefs locaux français,

Il faut dire que la situation en Algérie avait été rarement aussi embrouillée depuis que les américains y avaient débarqué en novembre 1942 et que, le mois suivant, l'amiral Darlan présent à Alger et que les américains regardaient avec un oeil favorable, y soit assassiné par un jeune gaulliste nommé Bonnier de la Chapelle.



« Nulle part en France ni dans l'Empire, écrit-il, on ne vit (la propagande du Maréchal) s'étaler avec autant d'indécence : énormes slogans barbouillant les murs, gigantesques portraits du bon dictateur... »

Les Français d’Algérie, dans leur majorité, s’identifièrent au régime de Vichy et à son ordre nouveau, le voyant comme un idéal et la possibilité de satisfaire sa soif de domination. Pour eux, reconnaître des droits aux juifs d’Algérie signifiait logiquement donner à terme les mêmes droits aux musulmans algériens. Ça voulait dire aussi renoncer à toute politique d’assimilation, ce qui était grave de conséquences… et ce que prouverait l’avenir. 

 

Voir aussi
* Éric Branca, L’ami américain -- Ménétrel & Pétain -- Marc Lambron, 1941 --
* Histoire, mémoire, témoignage -- Auschwitz & complot nazi --
* Olivier Guez, Le siècle des dictateurs -- * Thomas Picketty, Capital et idéologie --
* Régis Debray, Civilisation et Du génie français --

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9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 18:35

Référence : Emmanuel Todd, "Les luttes de classes en France au 21e siècle", éditions du Seuil. 2020

      
« On vit dans un monde où toutes les classes se racontent des choses inexactes sur la France et sur elles-mêmes.  »


Dans un article de 2013, commentant son ouvrage intitulé « Le mystère français », j’avais déjà noté cette réflexion lourde de sens : « La France est un pays divisé contre lui-même ». [1] Il y traitait de la reconfiguration du pays à la suite du déclin du secteur industriel et de la montée d’un secteur tertiaire de plus en plus diversifié qui avantageaient certaines régions et en plongeaient d’autres dans la récession. Le constat d’alors n’a fait que s’accentuer depuis avec d’énormes conséquences sur le plan socio-politique.

                 

 Pour Emmanuel Todd, telle qu'il la présente, « La lutte des classes, c’est la France. Marx a certes étendu le concept à l’échelle planétaire, mais il ne faisait aucun doute pour lui que le lieu de naissance des luttes de classes modernes, c’était la France. Beaucoup plus que la chasse aux arabes ou aux homosexuels, la lutte des classes est notre identité. »
 
C’est en tout cas l'idée qu’il développe dans son dernier ouvrage consacré aux rapports tumultueux entre Français où il pense que la lutte de classes sous différents aspects a repris de la vigueur, après l’espèce de consensus mou qui avait suivi la chute du communisme.
Voilà qui est dit. Avec lui, au moins on sait où on en est et son constat est sans appel.


     

Premier pavé dans la marre : « c’est qu’en fait la France est engagée dans une période de baisse du niveau de vie et du pouvoir d’achat, depuis 2007 au moins mais probablement depuis 2000. » Les gens craignent l’organisation de leur appauvrissement futur.

Il a observé deux tendances lourdes : indices démographiques eu berne, légère hausse de la mortalité infantile, moins de mobilité géographique et de fécondité, plus grande homogénéité sociale et culturelle surtout en matière de baisse de fécondité et de nivellement de l’éducation.

Pays divisé sur lui-même disait-il, rajoutant maintenant «  je suis en train de dire à tous les gens qu’ils se trompent sur eux-mêmes et j’ai peur de blesser. »


 

Revenant à la lutte de classes, il y voit d’abord un mépris généralisé, où chaque classe snobe la classe inférieure, même s’il distingue un groupe central important estimé à la moitié du corps social, mais totalement hétérogène avec ses professions intermédiaires, ses employés qualifiés, ce qu’il reste de paysans et de petits commerçants. [2] Finalement, il pense que le groupe supérieur, « l’aristocratie financière, va mal aussi dans sa tête... »

Les plus défavorisés, ceux qu’on nomme "les petits blancs", voient les immigrés comme "plus bas qu’eux". Ceux qui forment les "winners" de la "France ouverte", c’est-à-dire les cadres et professions intermédiaires et supérieures, seraient alors des "losers d’en haut", espèce de "petits blancs au deuxième degré". Dans leur tête, rien qu’une cascade de "petits blancs ".

        

Dans une bonne lutte des classes, tous devraient arrêter de lorgner vers le bas pour lever la tête et viser le haut, pour s’apercevoir que  « leur persécuteur réel, est l’aristocratie financière. »

« L'élitisme n’a plus comme but que de dénoncer le populisme. »

Revenant sur « la stratification éducative » qu’il avait déjà traitée dans son livre L’illusion économique en 1997), il pense qu’elle a eu pour conséquence la lutte entre populisme et élitisme. Ceux qui ont fait des études supérieures vivent en vase clos et finissent par faire un complexe de supériorité. On a pu s’en apercevoir dans certains propos des élites visant des ouvrières ou des gilets jaunes.



La mobilité scolaire est au point mort. Il existe un écart grandissant entre la perception des phénomènes et la réalité économique, et comme il dit « pour moi, l’intelligence réelle est en train de se séparer du niveau éducatif. »

          

Avec son ironie inimitable, il remarque que la mobilité scolaire en berne, « signifie qu’en bas, il y a de plus en plus de gens intelligents qui n’ont pas de diplôme particulier et qu’en haut le taux de crétins diplômés progresse. »

Pour lui, ce sont d'abord les questions socio-économiques qui sont à l'ordre du jour, beaucoup plus que des questions sociologiques à base de recherche d'identité. Il n'existe d'ailleurs pas dans ce domaine de vraie convergence entre les pays, chacun ayant ses propres valeurs. [3]

Dans les différences sociologiques qui marquent l'histoire de chaque pays, il note l'importance de L’idée de la souveraineté et le parlementarisme des Anglais, certaines tendances xénophobes et anti-élites des Américains et une autonomisation du pouvoir des Français, qu'on retrouve selon lui chez Napoléon III... et chez Macron.




Sur le modèle anglo saxon, le MEDEF est passé d’une bourgeoisie industrielle à un néo libéralisme  qui lui est largement étranger. Les élites aussi se prennent pour des néolibéraux mais leurs pratiques monétaires sont souvent incompatibles avec cette idéologie. « Tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est détruire l’industrie et la société civile. »

Tout ceci, sous couvert d’une fausse polarisation entre extrême droite et macronisme nous conduit à recourir au vieux thème de l’indépendance nationale.
Dernier point important : Pour lui, les profs représentent le cœur idéologique de la nation, ceux qui ont accepté Maastricht. Avec leur niveau éducatif supérieur, ils « forment les enfants, et s'ils basculent dans une opposition au système, alors nous basculons dans une autre phase historique. »

Notes et références
[1] Interview au journal La Croix, 27 mars 2013
[2] Il dit de lui-même : « Je suis un petit bourgeois CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures) des générations encore protégées »
[3]  Il prend comme exemple l’après crise de 1929 qui « a donné le nazisme en Allemagne, Roosevelt aux Etats-Unis et Léon Blum en France. Ce qui donne une idée pour comprendre pourquoi les Etats-Unis ont Trump, l’Angleterre Johnson, et la France Macron...
 »


Voir aussi
* Joseph Ponthus, A la ligne -- Jérôme Fourquet, L'archipel français --
* Olivier Guez, Le siècle des dictateurs --
* Régis Debray, Civilisation et Du génie français --
* Thomas Picketty, Capital et idéologie --

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11 janvier 2020 6 11 /01 /janvier /2020 14:04
Référence : Gérard Mordillat, La Brigade du rire, éditions Albin Michel, août 2015
        

Mordillat, on aime ou on n’aime pas. Il ne s’embarrasse pas de périphrases et fait sienne cette citation d’Antonin Artaud :« J’ai deux ou trois dents contre la société actuelle. »


 J’ai encore en tête le superbe roman qui l’a fait connaître au grand public, Les vivants et les morts, l’histoire de ces ouvriers qui vont lutter jusqu’au bout pour la survie de leur entreprise et donc pour leur propre survie. Je pense aussi à Xénia et sa copine Blandine, ces beaux portraits de femmes qui dans leur lointaine banlieue, font partie des laissés-pour-compte.   

La Brigade du rire est de la même veine, il conjugue  imagination débridée et combat social dans une farce enlevée qui contient quelques beaux moments de rigolade mêlés de spleen et de mélancolie.

    

S’il existe une littérature de résistance, à la mondialisation comme à la montée de l’extrémisme, et à la bêtise en particulier, ce sont bien ses romans. Et son roman, La Brigade du rire, représente bien à travers ses personnages et ses aspects ludiques, cette littérature d’engagement. 

        

Une bande de vieux copains qui se remettent avec difficulté des rêves évanouis de leur jeunesse, se retrouve sous l’impulsion de l’un d’eux pour renouer avec le passé et vivre une cure de jouvence. 
Dans la bande, Il y a Kowalski, dit Kol et Betty, licenciés de leur entreprise, Rousseau, le beau gosse toujours fringant et devenu prof d'économie, Dylan prof d’anglais et poète qui voudrait bien écrire leur épopée mais n’y parvient pas... 

On trouve aussi les jumelles Dorith et Muriel qui voudraient bien faire de leur vie une fête permanente, celui qu’on surnomme L’Enfant-Loup, coureur et bagarreur, Suzana, infirmière en psychiatrie, Hurel, un industriel qui n’a pas abandonné ses idées anarchistes, Isaac le rouquin, distributeur de films, et Victoria que personne n’attendait, compagne du seul membre de la bande qui soit décédé…

     

Ils voudraient bien dépasser la critique du libéralisme évoluant vers la mondialisation mais il ne savant pas trop comment… et pendant leurs retrouvailles, leur vient une idée qu’ils vont rapidement mettre en application. Cette idée naît de la lecture d’un édito de Pierre Ramut, dans le magazine ultralibéral Valeurs françaises. 

Ce type, selon leurs critères, est le symbole même de ce qu’ils veulent dénoncer, un type qui défend la semaine de 48 heures, un salaire de 20% inférieur au smic, le travail du dimanche. Leur idée : se constituer en "Brigade du rire", enlever Pierre Ramut et le faire travailler selon ses préceptes, dans les conditions qu’il destine aux ouvriers. Pour cela, ils l'enferment dans un ancien bunker transformé en atelier et l'installent devant une perceuse à colonne où il doit produire six cents pièces à l'heure...  
Au moins, Ramut, l’éditorialiste vedette de Valeurs françaises, saura désormais de quoi il parle…

     
                                               Gérard Mordillat et Jérôme Prieur


Pendant toute l’opération, on patauge dans le tragi-comique, tragique de ces vies déchirées où chacun a eu son lot de difficultés et de malheur, comique d’une situation improbable. Ce qu’ils veulent dénoncer, à travers le cas Ramut qui n’est qu’un symbole de la dérive d’une société qu’ils supportent de moins en moins, une presse au service des puissants, un monde ouvrier sans illusions coincé entre le chômage et le silence, jusqu’à la scène finale qui se situe bien dans la logique de l’évolution que montre du doigt Gérard Mordillat.

    
Dans cette fresque où le drame affleure à chaque éclat de rire, Gérard Mordillat nous donne sa vision du monde actuel, ceux qui s’en servent ou les initient, ceux qui luttent avec leurs moyens qui sont souvent dérisoires, les plus motivés qui refusent la soumission et renvoient au rire formidable qui est représente leur ultime bras d’honneur.

Mes fiches sur Gérard Mordillat :
* Les vivants et les morts - Xénia - Ces femmes-là - La brigade du rire -
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1 novembre 2019 5 01 /11 /novembre /2019 21:36

Référence : Hans Martin Puchner, Écrire le monde, traduction Odile Demange, éditions Fayard, 444 pages, septembre 2019

La formidable épopée des livres qui ont fait l’histoire

             

 

Dans "Écrire le monde", Hans Martin Puchner nous offre une vaste histoire de la littérature brossée à partir d’une quinzaine d’œuvres essentielles, la Bible et les textes sacrés, de l’Iliade à Harry Potter, qui ont non seulement contribué à écrire l’histoire du monde et dont on peut penser qu’ils pourront aussi devenir le ferment de l’évolution du monde.

Avec l’auteur, nous partons pour un très long voyage dans le temps et l’espace à la recherche des grands textes qui ont marqué le parcours des empires et des nations, le développement des idées qui se sont répandues de part le monde et des croyances religieuses.
 


                                                     Bouddha

Hans Martin Puchner nous propulse dans les textes sacrés qui ont marqué le monde : l’Épopée de Gilgamesh, le Popol Vuh – la « bible » maya – et L’Iliade; les pensées du Bouddha, de Confucius, Socrate et Jésus Christ ; le Dit du Genji, premier écrit romanesque de la japonaise Murasaki ; Les Mille et Une Nuits, Don Quichotte ou encore le Manifeste du parti communiste. Mais d’autres œuvres moins connues sont aussi abordées comme Soundiata pour l’Afrique de l’Ouest ou des textes contemporains comme Le Livre noir d’Orhan Pamuk (le prix Nobel turc) ou la saga Harry Potter.

 

                                                                                                                                                                   Socrate


« J’essaie parfois d’imaginer un monde sans littérature » confie l’auteur. Pire encore d’imaginer un monde où la littérature n’aurait jamais existé, si les histoires orales n’avaient jamais été écrites.
Tout en eût été bouleversé : notre sens de l’Histoire, de l’ascension et de la chute des empires et des nations serait tout différent.

La plupart des idées philosophiques et politiques n’auraient jamais vu le jour parce que la littérature qui les a inspirées n’aurait pas été écrite. Presque toutes les croyances religieuses disparaîtraient en même temps que les écritures qui leur ont permis de s’exprimer.

Depuis son apparition il y a 4000 ans, elle a façonné la vie de la majorité des humains de cette terre.  Prenons les astronautes à bord du vaisseau Apollo 8. Dans l’espace, l’image rendait mal le réel et en dernier ressort, ils eurent recours aux mots. Mais ils étaient loin d’être des écrivains capables de trouver les mots justes pour décrire ce qu’ils voyaient.
 

         
 

Mais Anders en particulier parvint à bien traduire ce qu’il voyait, « la nature désolée du terrain, les formes allongées font ressortir les reliefs difficiles à distinguer sur la surface très lumineuse survolée. » Les trois astronautes lurent chacun un message qui fut transmis à quelque 500 millions de téléspectateurs. Écrire n’est pas forcément l’apanage de professionnels, des comptables mésopotamiens par exemple,  ce qui signifie que les textes importants, fondateurs comme la Bible, furent aux mains des prêtres, soutenus par les royautés qui y avaient intérêt. La mission Apollo 8 aussi fut critiquée, le choix de la Bible pour les messages lancés par les trois astronautes, la publicité faite à l’Amérique donc au capitalisme libéral…
 

« La littérature naquit de la rencontre entre l’écriture et la narration » dit l'auteur. En fait, son évolution fut soumise à l’acquisition et l’invention de nouvelles techniques dont l’imprimerie fut la plus déterminante. Après la littérature romanesque se développe actuellement une production diversifiée et de masse.
 

       
                                      Les 3 astronautes d'Apollo 8

 

On peut ainsi affirmer que le monde a été « façonné par la littérature » avec des États démographiques régis par des textes fondateurs, les Constitutions, les chartes... Et à la longue, les cultures de l'écrit comme l'empire romain se sont toujours imposées face aux cultures de l'oral.
Et les technologies de l’écriture n’ont pas fini d’évoluer…   

 Mais paradoxalement, le présent rejoint parfois le passé : Aujourd’hui, comme les scribes antiques, on fait défiler des textes, courbés sur nos tablettes. Raconter l’histoire de la littérature, c’est aussi raconter comment elle a contribué à « écrire le monde ».
 

       
 

Voir aussi
* Régis Debray, Civilisation et Du génie français --
* Jérôme Fourquet, L'archipel français --
* Art de la paix et diplomatie --
* Thomas Piketti, Capital et idéologie --

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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 07:09

         

Référence : Régis Debray Du génie français, éditions Gallimard, Collection Blanche, 128 pages, septembre 2019

 

« Stendhal, c’est l’esprit français, mais Hugo, c’est l’âme. »

 

Dans la logique de son essai précédent sur le déclin français dans le  monde et son américanisation [1], Régis Debray se pose la question de  « l’art d’être français » et quel écrivain serait à même de mieux représenter cette singularité.


Une étude sur ce thème aurai permis de retenir deux postulants à cette distinction suprême : Arrive en tête Stendhal, assez loin devant Victor Hugo. Très intéressé et intrigué par ce choix, Régis Debray a résolu d’examiner à la loupe les mérites respectifs des deux impétrants à cette éclatante reconnaissance.
 


Et sa conclusion est limpide : Hugo d’abord, Hugo encore et toujours. L’exilé têtu et républicain convaincu serait-il vraiment la figure de proue du Français, plutôt que l’européen italianisant et bonapartiste ?
 

Pour Régis Debray, l’erreur serait plutôt choisir l’individualisme stendhalien contre la grandeur hugolienne. Très virulent quant à la situation actuelle de la France, notre état de « fils de nous-mêmes, sans dette envers quiconque », une société devenue une « juxtaposition d’insociables » qui n’ont plus guère de convictions et sont souvent des déracinés.

 

        

 

« La société des individus est à bout de souffle. »

 

Selon lui, Stendhal serait le « favori des gens bien » d’un « siècle impeccablement cynique et dépassionné » et Hugo, jugé souvent alors trop attentif au peuple et trop soucieux du commun.


En fait, comparaison ne vaut pas démonstration dans ce curieux combat et ce postulat que Stendhal serait le digne prétendant d’Hugo, même si on peut voir un ouvrage de Stendhal sur le portrait officiel d’Emmanuel Macron.

 

Si tout semble en première analyse opposer Stendhal et Victor Hugo, il faut reconnaître qu’ils sont en fait largement complémentaires. La volonté et la force de conviction d’un Hugo fait pendant à la légèreté et l’urbanité d’un Stendhal et ils incarnent  chacun à leur manière « une part du génie national. »

 

 

 

En fait, la question posée serait plutôt de savoir qui de Hugo ou de Stendhal est actuellement l’écrivain qui représente l'esprit français. C'est bien la véritable question qui intéresse Régis Debray, la "vraie question", et il répond sans hésiter Stendhal pour son individualisme, « sa préférence pour lui-même », qui correspond si bien à notre mentalité actuelle. Chez Hugo, c'est tout autre chose, l’individu n'existe réellement qu'en relation avec la société, quand il est un être social. Et il lui semble que vient maintenant le tour d'Hugo pour dépasser les tendances hédonistes et s'ouvrir aux autres.
D'où son constat : « La société des individus est à bout de souffle. »

 

           

 

Interview : De Stendhal à Macron

 

Ce qu’il confirme dans une interview faite à la revue des Deux-Monde : « Nous sortons du moment Stendhal, et on peut espérer un moment Hugo, même si c’est mettre la barre un peu haut. »

En mettant celui que Julien Gracq appelle « le plus antipopulaire des romanciers français » sur sa photographie officielle, Macron a pris un risque : celui d’afficher son idéal du moi. »

Il y voit un désir narcissique, la reconnaissance «  que l’on peut arriver à presque tout à partir de presque rien, schéma typiquement stendhalien et l’idée que l’on peut se passer aussi bien d’une doctrine que d’une base sociale. »

 

          

Plusieurs événements sociaux ont bouleversé ses belles évidences et celles des bourgeoisies d’argent et de compétence qui le soutiennent, ce qu’il appelle « leur blessure narcissique » leur ont rappelé que d’autres forces sociales existaient dont il faudrait bien tenir compte.

L’évolution sociologique du pays fait aussi que le pouvoir politique se trouve confronté à « une génération qui n’a rien connu de grand – et qui n’a même rien connu du tout. Une génération qui n’a jamais eu faim, ni soif, qui n’a jamais eu peur, qui n’a pas eu de grands rêves et qui n’a jamais vu un mort. On ne choisit pas sa date de naissance. »

 

Revenant ensuite sur la dualité Hugo/Stendhal, il note que Stendhal prône surtout le courage personnel (et non collectif) avec toutefois l’expérience  de la retraite de Russie, « il a vu Moscou brûler, les cosaques, la Berezina… Cela donne un recul et une profondeur à notre microcosme managérial… qui ignore tout  du tragique et de la souffrance ».

 

Il pense que maintenant Macron éviterait de mettre en avant aussi bien Stendhal que Gide, pas plus que Les Misérables d’ailleurs. Il lui paraît également compliqué de faire coexister Hugo et Stendhal, « un homme du monde et un homme d’univers, un sceptique et un croyant, un regard aigu mais limité à une voyance océanique. Ce serait comme comparer le bois de Boulogne et l’Amazonie »

Référence à un livre de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, quand le narrateur  dit à sa petite amie brésilienne : "En France, on manque d’Amazonie", ce à quoi elle répond : "Non, vous avez Victor Hugo." « Hugo a un environnement cosmique […], il raccorde l’individu à la nature. ».
 


Chez Hugo, au-delà de la sensibilité, il y a une transcendance car « il voit l’idée à travers le fait, le symbole à travers l’individu. » On peut ainsi dire que Stendhal est monocorde alors que Hugo est polyphonique tout en étant contradictoire.

Dans le même ordre d’idée, on peut aussi affirmer que Stendhal est européen et Hugo est "mondial", il s’adresse au peuple, celui de Paris par exemple, et traite en fait de l’universel dans les opprimés de tous les pays. C’est en ceci qu’il peut être revendiqué par tous les peuples.
 

Notes et références
[1] Régis Debray, Civilisation, éditions Gallimard, collection Blanche, 2017 --

 

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