Référence : Jean-Marc Moriceau, La mémoire des paysans, Chronique de la France des campagnes (1653-1788), éditions Tallandier, 734 pages, octobre 2020

 

La lente métamorphose de la vie des laboureurs et gens de village aux XVIIe et XVIIIe siècles.



         

 

Jean-Marc Moriceau est surtout connu comme le spécialiste du loup, auteur d'Histoire du méchant loup (2007), de L'Homme contre le loup (2011) et de l'atlas Sur les pas du loup (2013).

Dans la veine de La Mémoire des Croquants (1435-1652), Jean-Marc Moriceau continue son enquête sur la vie du monde paysan, du retour de la paix civile après l’épisode de la Fronde jusqu’à l’aube de la Révolution.

 

     

 

L’ouvrage ne reprend pas le découpage dynastique traditionnel d’une période longue qui se déroule sur trois règnes : Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il prend en compte les évolutions socio-économiques majeures pour organiser un découpage en trois phases. D’abord entre 1653 et 1700 où les destructions des guerres successives de Louis XIV s’ajoutent à la persistance des fléaux naturels. On aurait d’ailleurs pu aller jusqu’en 1714, un an avant la mort du Roi-soleil, et la fin de l’interminable guerre de succession d’Espagne d’où le pays sort épuisé.

 

               

 

Suit une période qui prend fin vers le milieu du XVIIIe siècle où les incertitudes du quotidien le cèdent à un temps de paix, en tout cas pour la France dont le territoire est préservé.  La dernière période qu’on peut situer entre 1750 et la veille de la Révolution, est moins contrastée, dominée par la constance du progrès technique qui profite cependant peu aux classes laborieuses. De ce point de vue, l’histoire a tendance à s’accélérer contrairement à une société qui reste figée.

 

           

 

C’est l’histoire vue d’en bas, nous dit l'auteur, l'histoire de la sécheresse ou des inondations qui impactent les récoltes, des impôts, de la guerre, de la peste, du typhus, de la fièvre aphteuse, des attaques de loups.

La préoccupation essentielle, c’est le temps. Par exemple en 1788, la température est descendue à moins 20°C, « ruinant les récoltes et provoquant des tensions au printemps 1789. » Le pain est l’aliment principal mais le rendement moyen est de 7 à 8 quintaux à l’hectare (soit dix fois moins qu’aujourd’hui) et on en mange 1 kg par jour et par personne (5 fois moins qu’à notre époque).

 

       

Les gens, parce que l’information circule mieux, parce que de plus en plus de paysans vont à l’école, savent lire et écrire, prennent peu à peu conscience de l’aggravation des inégalités sociales. C’est le cas d’au moins la moitié des hommes, contre 25% au XVIIe siècle.

Il en faut parfois peu pour qu’une région connaisse la famine. Par exemple en 1683, elle sévit dans le pays de Craon, on fait du pain avec des racines de fougère mais heureusement, le sarrasin ou blé noir, qui ne gèle pas, évite une famine générale. Le progrès va peu à peu limiter bien des périodes de disette, comme les nouvelles techniques d’attelage et l’amélioration du réseau routier qui favorisent le commerce.

 


Millet, La vie paysanne : les glaneuses

 

Vers la fin du XVIIIe siècle, la situation des campagnes est plus contrastée. Même si la misère sévit encore trop souvent, si les ouvriers agricoles, errants et sans logis, sont nombreux, les conditions ont tendance à s’améliorer.
Des cultures fourragères remplacent des jachères, on voit apparaître des prairies artificielles, « la production agricole, le stockage et la commercialisation progressent ». On trouve par exemple dans le pays de Caux, des fermes allant jusqu’à 250 hectares. Le commerce favorise les échanges, les produits normands comme le beurre d’Isigny ou la viande du pays d’Auge, les toiles du Léon sont vendus sur les marchés parisiens.

Cette chronique de la France des campagnes qui couvre quelque 135 ans, est basée sur des écrits et des documents laissés par les paysans eux-mêmes.

 

               

 

On y trouve des histoires racontées à travers la vie de fermiers, métayers, charretiers, laboureurs, bouviers, marchands de bœufs, valets de ferme... Un ensemble de témoignages représentant des milliers de documents de première main donc qui donne un ton particulier à cet ouvrage qui n’en est pas moins une somme de connaissances sur l’époque étudiée.

C’est aussi une étude très précieuse puisqu’elle concerne les paysans des campagnes françaises qui doivent constituer quelque 90% de la population du pays, rarement étudiée de façon aussi approfondie.

 


Le Nain, La vie paysanne au XVIIe siècle

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