Albert et Francine Camus


« Je donne au théâtre un temps que je refuse avec obstination aux dîners en ville car c'est le lieu de la vérité. »

 

L’œuvre théâtrale d’Albert Camus n’a guère été vraiment considérée jusqu’à présent comme particulièrement importante, elle en représente cependant un domaine essentiel de sa création. On peut même affirmer après Hélène Mauler que « Le théâtre fait partie pour Camus de cette éducation populaire à laquelle voudra également travailler après guerre Jean Vilarpar son T.N.P. » [1]

Si son théâtre peut paraître assez maigre avec quatre pièces et quelques adaptations, dont celle des Possédés de Dostoïevski, il n’en a pas moins été le moteur de l’activité de Camus à ses débuts et a rencontré son public, surtout avec la pièce consacrée à Caligula qui est devenue un classique du théâtre de cette époque, version dramatique de sa trilogie de l’absurde.

 

      Le théâtre de Camus, Hélène Mauler

 

« Le théâtre de Camus est un théâtre de texte. Mieux : un théâtre d’idée. »

 

Depuis toujours, Camus a aimé le spectacle, le cinéma et surtout le théâtre qui sera aux tout débuts son activité principale avec Le Théâtre du travail. Il en parle d’ailleurs dans son dernier roman largement autobiographique Le Premier homme. Après le théâtre du Travail vint le Théâtre de l’Équipe à Alger en 1935-36.

Pour Camus, cette forme de théâtre est vraiment un élément essentiel de l’éducation populaire qui est dans ces années-là représente ce qu’il désire faire et Jacques Copeau, le fondateur du Vieux-Colombier, fut son inspirateur et Camus s’est beaucoup référé à lui. Dans une interview d’août 1957, il dit que « les écrit de Copeau m’ont donné l’envie puis la passion du théâtre. J’ai mis le Théâtre de l’Équipe, que j’ai fondé à Alger, sous le signe de Copeau et j’ai repris, avec les moyens du bord, une partie de son répertoire. Je continue de penser que nous devons à Copeau la réforme du théâtre français et que cette dette est inépuisable. »

 

« Pour vivre dans la vérité , jouez la comédie ! »

 

 
                    Albert Camus avec Maria Casarès et Jean-Louis Barrault

 

Victime d’échecs, le théâtre du Vieux-Colombier avait ombré dans la gaudriole et les pièces de boulevard et c’est Jacques Copeau qui lui redonna ses lettres de noblesse. Ce que Camus traduit de cette façon : « Le lieu privilégié du sacrifice théâtral  était  le lit à deux places, (…) lorsque la pièce était particulièrement réussie, les sacrifices se multipliaient et les lits aussi. »

Il aime Copeau parce qu’il « plaçait avant toute chose le texte, le style, la beauté et il prétendait en même temps qu’une œuvre dramatique devait réunir, et non diviser, dans une même émotion ou un même rire, les spectateurs présents.

Il pensait aussi de la même façon qu’un comédien doit surtout être capable de se donner et pour cela, il faut d’abord qu’il se possède. » Contrairement à ce  que pensent certains, c’est le métier qui représente le libérateur de l’émotion. » Et pour que ce soit possible, le metteur en scène doit se faire discret, « amorcer le sentiment chez l’acteur, non le dicter. » Copeau, selon l’expression de Camus « cachait le metteur en scène derrière le comédien et le comédien derrière le texte. »

 

   
Albert Camus au théâtre Antoine et au théâtre Hébertot avec Jacques Hébertot

 

À l’occasion de l’exposition consacrée à Jacques Copeau en 1959, Camus intitula la plaquette qu’il lui consacra : « Copeau, seul maître. » Il rejoint ainsi Diderot et son Paradoxe du comédien qui pensait que « l’art est le résultat d’un travail conscient, il a affaire à l’artifice. » Aucun rapport avec la spontanéité qui domine aujourd’hui la scène théâtrale.

Car le théâtre de Camus est un théâtre de texte autant que d’idée. Pas de performance physique, d’idées difficiles à retrouver sous l’épaisseur des références et de  la virtuosité mais c’est plutôt disait l’une de ses interprètes Catherine Sellers qui joua dans "Requiem pour une nonne" et "Les Possédés", « une histoire de grandeur racontée par des corps ».

On retrouve dans la correspondance entre Albert Camus et sans doute sa principale interprète Maria Casarès beaucoup d’informations sur les rôles qu’elle a incarnés, Martha dans Le Malentendu, Victoria dans L’État de siège et Dora Doulebov dans Les Justes.

 

       
L’État de siège au théâtre de la Ville en 2017
Camus (à gauche) dans le rôle de Gringoire de Théodore de Banville en 1937

 

« Le théâtre accompagne Camus tout au long de sa carrière. À chacun de ses cycles correspond au moins une grande pièce. »

 

Albert Camus a expérimenté toutes les facettes du théâtre, aussi bien en tant qu’auteur, qu’acteur à ses débuts, que metteur en scène, que directeur d’une petite troupe. Il aimait l’ambiance, la vie collective que donnait lieu toute création, disant même que « le théâtre est mon couvent. L’agitation du monde meurt au pied de ces murs et à l’intérieur de l’enceinte sacrée, pendant deux mois, voués à la seule méditation, tournés vers un seul but, une communauté de moines travailleurs, arrachés au siècle, prépare l’office qui sera célébré un soir pour la première fois. »
Pendant les répétitions, rien n’existait alors pour lui que la cohésion du groupe, condition indispensable à la réussite de la pièce.

 

      
Caligula 2017 joué par Benoît Mc Ginnis
Adaptation de La chute mise en scène de Vincent Auvet

 

Le théâtre va accompagner Camus jusqu’au bout puisqu’à sa mort, il était question qu’il prenne la direction d’un théâtre national. À chacun de ses cycles correspond au moins une grande pièce : Caligula et Le Malentendu pour le cycle de l’absurde, Les Justes [2] et l’État de siège pour le cycle de la révolte, les projets d’un Don Juan et d’un Faust au cycle à peine entamé de l’amour. De Dostoïevsky, il reprendra Les frères Karamazov au théâtre de l’Équipe puis Les Possédés beaucoup plus tard en janvier 1959 au théâtre Antoine.

Quand il était en proie au doute, c’est au théâtre que pense Camus : « Le théâtre au moins m’aide. La parodie vaut mieux que le mensonge : elle est plus près de la vérité qu’elle joue. »

 

Notes et références
[1]
Hélène Mauler, Le Théâtre d’Albert Camus, Éditions Ides et Calendes

[2] Voir la version 2019 des Justes mise en scène par Abd Al Malik au théâtre du Châtelet

 

Nordine Marouf dans La Peste

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