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9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 18:35

Référence : Emmanuel Todd, "Les luttes de classes en France au 21e siècle", éditions du Seuil. 2020

      
« On vit dans un monde où toutes les classes se racontent des choses inexactes sur la France et sur elles-mêmes.  »


Dans un article de 2013, commentant son ouvrage intitulé « Le mystère français », j’avais déjà noté cette réflexion lourde de sens : « La France est un pays divisé contre lui-même ». [1] Il y traitait de la reconfiguration du pays à la suite du déclin du secteur industriel et de la montée d’un secteur tertiaire de plus en plus diversifié qui avantageaient certaines régions et en plongeaient d’autres dans la récession. Le constat d’alors n’a fait que s’accentuer depuis avec d’énormes conséquences sur le plan socio-politique.

                 

 Pour Emmanuel Todd, telle qu'il la présente, « La lutte des classes, c’est la France. Marx a certes étendu le concept à l’échelle planétaire, mais il ne faisait aucun doute pour lui que le lieu de naissance des luttes de classes modernes, c’était la France. Beaucoup plus que la chasse aux arabes ou aux homosexuels, la lutte des classes est notre identité. »
 
C’est en tout cas l'idée qu’il développe dans son dernier ouvrage consacré aux rapports tumultueux entre Français où il pense que la lutte de classes sous différents aspects a repris de la vigueur, après l’espèce de consensus mou qui avait suivi la chute du communisme.
Voilà qui est dit. Avec lui, au moins on sait où on en est et son constat est sans appel.


     

Premier pavé dans la marre : « c’est qu’en fait la France est engagée dans une période de baisse du niveau de vie et du pouvoir d’achat, depuis 2007 au moins mais probablement depuis 2000. » Les gens craignent l’organisation de leur appauvrissement futur.

Il a observé deux tendances lourdes : indices démographiques eu berne, légère hausse de la mortalité infantile, moins de mobilité géographique et de fécondité, plus grande homogénéité sociale et culturelle surtout en matière de baisse de fécondité et de nivellement de l’éducation.

Pays divisé sur lui-même disait-il, rajoutant maintenant «  je suis en train de dire à tous les gens qu’ils se trompent sur eux-mêmes et j’ai peur de blesser. »


 

Revenant à la lutte de classes, il y voit d’abord un mépris généralisé, où chaque classe snobe la classe inférieure, même s’il distingue un groupe central important estimé à la moitié du corps social, mais totalement hétérogène avec ses professions intermédiaires, ses employés qualifiés, ce qu’il reste de paysans et de petits commerçants. [2] Finalement, il pense que le groupe supérieur, « l’aristocratie financière, va mal aussi dans sa tête... »

Les plus défavorisés, ceux qu’on nomme "les petits blancs", voient les immigrés comme "plus bas qu’eux". Ceux qui forment les "winners" de la "France ouverte", c’est-à-dire les cadres et professions intermédiaires et supérieures, seraient alors des "losers d’en haut", espèce de "petits blancs au deuxième degré". Dans leur tête, rien qu’une cascade de "petits blancs ".

        

Dans une bonne lutte des classes, tous devraient arrêter de lorgner vers le bas pour lever la tête et viser le haut, pour s’apercevoir que  « leur persécuteur réel, est l’aristocratie financière. »

« L'élitisme n’a plus comme but que de dénoncer le populisme. »

Revenant sur « la stratification éducative » qu’il avait déjà traitée dans son livre L’illusion économique en 1997), il pense qu’elle a eu pour conséquence la lutte entre populisme et élitisme. Ceux qui ont fait des études supérieures vivent en vase clos et finissent par faire un complexe de supériorité. On a pu s’en apercevoir dans certains propos des élites visant des ouvrières ou des gilets jaunes.



La mobilité scolaire est au point mort. Il existe un écart grandissant entre la perception des phénomènes et la réalité économique, et comme il dit « pour moi, l’intelligence réelle est en train de se séparer du niveau éducatif. »

          

Avec son ironie inimitable, il remarque que la mobilité scolaire en berne, « signifie qu’en bas, il y a de plus en plus de gens intelligents qui n’ont pas de diplôme particulier et qu’en haut le taux de crétins diplômés progresse. »

Pour lui, ce sont d'abord les questions socio-économiques qui sont à l'ordre du jour, beaucoup plus que des questions sociologiques à base de recherche d'identité. Il n'existe d'ailleurs pas dans ce domaine de vraie convergence entre les pays, chacun ayant ses propres valeurs. [3]

Dans les différences sociologiques qui marquent l'histoire de chaque pays, il note l'importance de L’idée de la souveraineté et le parlementarisme des Anglais, certaines tendances xénophobes et anti-élites des Américains et une autonomisation du pouvoir des Français, qu'on retrouve selon lui chez Napoléon III... et chez Macron.




Sur le modèle anglo saxon, le MEDEF est passé d’une bourgeoisie industrielle à un néo libéralisme  qui lui est largement étranger. Les élites aussi se prennent pour des néolibéraux mais leurs pratiques monétaires sont souvent incompatibles avec cette idéologie. « Tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est détruire l’industrie et la société civile. »

Tout ceci, sous couvert d’une fausse polarisation entre extrême droite et macronisme nous conduit à recourir au vieux thème de l’indépendance nationale.
Dernier point important : Pour lui, les profs représentent le cœur idéologique de la nation, ceux qui ont accepté Maastricht. Avec leur niveau éducatif supérieur, ils « forment les enfants, et s'ils basculent dans une opposition au système, alors nous basculons dans une autre phase historique. »

Notes et références
[1] Interview au journal La Croix, 27 mars 2013
[2] Il dit de lui-même : « Je suis un petit bourgeois CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures) des générations encore protégées »
[3]  Il prend comme exemple l’après crise de 1929 qui « a donné le nazisme en Allemagne, Roosevelt aux Etats-Unis et Léon Blum en France. Ce qui donne une idée pour comprendre pourquoi les Etats-Unis ont Trump, l’Angleterre Johnson, et la France Macron...
 »


Voir aussi
* Joseph Ponthus, A la ligne -- Jérôme Fourquet, L'archipel français --
* Olivier Guez, Le siècle des dictateurs --
* Régis Debray, Civilisation et Du génie français --
* Thomas Picketty, Capital et idéologie --

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<< Christian Broussas, Emmanuel Todd 02/02/2020 © • cjb • © >>

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