« La littérature, c'est le langage devenu langage ; la langue qui s'incarne. J'écris avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. »
 

Le Nobel 2019 à Peter Handke, en voilà une nouvelle ! On était bien convaincu que son soutien à la Serbie et à Milosévic l’avait définitivement rayé de la liste des "nobélisables" et lui-même en retour avait snobé et même dénigré l’Académie suédoise.
 

Un prix déjà attribué à sa compatriote Elfriede Jelinek, mais non à son autre compatriote Thomas Bernhard. Lui qui a utilisé toutes les formes littéraires est considéré comme un conteur silencieux et minoritaire, allant, des  romans aux essais introspectifs, en dialogues philosophiques, des pièces de théâtre en scénarios pour le cinéaste Wim Wenders, [1] a fini par bâtir patiemment une œuvre.
D’où son étonnement mêlé d’émotion quand il apprit la nouvelle.

 

     
 

Il a fait partie de ce qu’on appelé la contre-culture des années 60-70 marquée par une résistance aux normes, allant jusqu’à prendre la défense de la Serbie lors de la guerre de Yougoslavie. Un homme à part qui disait, reprenant le titre de l’un de ses livres : « Les gens déraisonnables sont en voie de disparition. » [2]
 

De cette œuvre multiforme, on peut retenir l’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, son roman de plus connu, l’Heure de la sensation vraie, la Courte Lettre pour un long adieu, l’Absence, la Femme gauchère, Lent Retour, Mon Année dans la baie de Personne, la Nuit morave. S’il a écrit sur les frontières, il a été longtemps un grand voyageur cherchant cette part cachée au-delà du brouillard des paysages et de la conscience. Son ami et traducteur Georges-Arthur Goldsmith présente ainsi ce qu’il cherche : « Parvenir, à force de concentration, à ce point d’intimité où celui qui écrit bascule en celui qui le lit. »
 

           
 

Sacré programme. Le personnage de Mon Année dans la baie de Personne [3] paru en 1994 le formule autrement : « Je me réjouissais de ma marche solitaire et j’avais cependant besoin de la marche en commun ; et lorsque cette joie me remplissait, je m’enflammais pour les absents : je devais, pour que cette plénitude fût valide, la partager à l’instant avec eux, l’élargir. » Son exigence, c’est la présence, la participation active du lecteur.
 

      

Sa biographie se retrouve parfois dans son œuvre. Dans Le Recommencement, il raconte comment il s’est fait renvoyer de son collège parce qu’il avait de "mauvaises lectures", en particulier Faulkner et Bernanos, dans Le malheur indifférent, il relate le suicide de sa mère en 1971, dans Mon Année dans la baie de Personne, Georg Keuschnig est comme lui un écrivain autrichien habitant près de Paris, évoquant une année de sa vie dans une banlieue en lisière de forêt... qui ressemble à Chaville.
 


Avec sa compagne Sophie Semin

Après des années vagabondes où il voyage en Yougoslavie, au Japon, aux États-Unis ou en Alaska, où il s’installe à Francfort, à Paris et Salzbourg, il s'est posé avec sa compagne la comédienne Sophie Semin à Chaville dans la région parisienne depuis 1990.



Avec Wim Wanders

 

Dans Mon année dans la baie de Personne paru en 1994, il écrit que « la région toute entière m'est apparue comme une baie où nous jouerions le rôle d'objets échoués sur le rivage. ». Il dit aussi que c'est « la plus reculée, la plus secrète, la moins accessible des baies donnant sur la mer de la capitale. »

     

Un film intitulé Le joueur mélancolique, lui a été consacré en 2002, une mélancolie dont il dit dans Essai sur la fatigue [4] : « La fatigue n’est pas mon sujet, mais mon problème, un reproche auquel je m’expose. […] Et pour les fatigues amènes, les plus belles de toutes qui m’ont aiguillonné pour cet essai, je voudrais tout autant rester sans cœur : qu’il me suffise... d’encercler l'image par la langue avec ses vibrations et ses méandres, si possible sans cœur. »
 

 
Handke aux funérailles de Milosevic  

 

Notes et références
[1] Pour Wim Wenders, il a écrit les scénarios de L'angoisse du gardien de but au moment du pénalty (d'après son roman), Faux mouvement, Les ailes du désir, Les beaux jours d'Aranjuez. 
[2] Titre d’une pièce de théâtre publiée en 1997 aux éditions L’Arche.

[3] Titre d’un roman paru chez Gallimard en 2000 (édition française)
[4] Essai paru en français chez Gallimard en 1991 et chez Folio en 1996

 

    

Voir aussi
* Présentation de Peter Handke --
* Peter Handke en 3 livres, Le Point --
* Elfriede Jelinek et le Winterreise --

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