Présentation
D’après l’Académie suédoise, Olga Tokarczuk « ne voit pas la réalité comme quelque chose de stable ou d'éternel. Elle construit ses romans à travers une tension entre oppositions culturelles, nature contre culture, raison contre folie, homme contre femme, foyer contre aliénation ». [1]


Elle a d’abord étudié la psychologie et les troubles mentaux pour devenir psychothérapeute puis s’est consacrée à la littérature à partir de 1997. Elle écrit alors un roman policier "Sur les ossements des morts", un conte philosophique "Les Enfants verts" et "Les Livres de Jakób", un roman historique sélectionné pour le Prix Femina étranger 2018.
 

    

Écologiste et végétarienne, engagée à gauche, originale avec ses dreadlocks,elle critique ouvertement l'actuel gouvernement polonais, conservateur et nationaliste, de Droit et Justice.

Il faudrait dit-elle« plus de tolérance, moins de conservatisme, moins d'esprit nationaliste réducteur ». Quand elle raconte l'histoire, dans Les Livres de Jakób, des descendants des 15.000 juifs convertis qui se sont fondus dans la population. Dans ce pays où l'antisémitisme n'est pas vraiment éradiqué, cette vérité choque, surtout les défenseurs d'une "polonité" d'obédience catholique. « Nous sommes aussi métissés, multiculturels, et c'est tant mieux ! », en conclut-elle.

Lauréate du Man Booker International Prize pour Les Pérégrins, elle est célèbre pour son «imagination narrative» qu’on retrouve dans Les Livres de Jakób, grande épopée religieuse qui se déroule à l’époque des Lumières. Il part d’une histoire vraie, celle de Jakob Frank, un chef religieux du XVIIIe siècle guidant ses disciples (membre de la secte juive hérétique des frankistes) vers l'Islam puis le catholicisme. Ce roman lui a demande dix ans de recherche et quelques déboires après des interviews à la télévision.
 

    
Les livres de Jakob                                       Les Pérégrins

 

Dans une interview à Libération, elle évoque son itinéraire et ses thèmes favoris.

Premier pas vers l’écriture

Sa mère était professeure de littérature polonaise et d’une certaine manière, « j’étais destinée à étudier la littérature à mon tour. » Elle fut d’abord surtout attirée par tout ce qui touchait à la psychologie. « Nous étions au début des années 80, une époque très sombre pour la Pologne. La loi martiale, les magasins vides, et une sorte de dépression généralisée qui étouffait le pays. » Elle reçoit ses premiers patients, travaille bénévolement et fait comme elle dit sa première découverte majeure : « Que la réalité est perçue selon une multitude de points de vue. »


Même si ça peut sembler évident, ce fut pour elle une révélation qu’elle traduisit par le fait qu’il existe rien d’objectif, « que nous ne pouvons percevoir la réalité que depuis tel ou tel point de vue. » Elle se souvient en particulier de ces deux frères lui racontant l’histoire de leur famille dans des versions très différentes. Elle s’est alors demandée « Quel enseignement en tirer ? » Réponse : « Je crois que ce fut mon premier pas vers l’écriture. »
 

L’eau et l’espace
Petite fille, elle adorait partir en balade, explorer son univers, aller jusqu’à l’Oder, à seulement deux kilomètres de chez elle. « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu le sentiment d’être une conquérante. »

Expérience fondatrice de l’enfance : « Explorer le monde, en faire un espace de confiance et de sécurité. […]  Je me rappelle encore le moment où je suis arrivée face au fleuve, et ce fleuve était immense ; immense et magique. C’était quelque chose. Alors, je me suis dit : "Je l’ai fait." Un petit kilomètre, mais un grand pas pour l’humanité ! »
 

Pour elle, « l’eau est la métaphore de notre inconscient. Elle fait fonction de frontière infranchissable. » Par exemple, l’idée de fendre les eaux reste importante dans la conscience humaine. Elle peut prendre des sens très différents, tour à tour plate, périlleuse, ou aussi fertile, participant à la pousse des plantes, ce qu’elle appelle « un réservoir à significations. »

Elle découvre que « les cours d’eau avaient la même forme que les nerfs humains, que nos veines,  […], le fait que ce qui est grand est très proche de ce qui est petit. Nous vivons dans un microcosme. »
 

 
Trois femmes Nobel : Olga Tokarczuk, Toni Morrison et Doris Lessing

 

Cette obscure conscience
Ce qui fait l’essence de l’humain est un mystère, nous est encore largement inconnu et « nous ne savons toujours pas répondre aux grandes questions de notre temps ». Le fonctionnement de la conscience demeure un mystère, comme cette sensation d’être coupés du reste de la réalité. « Pourquoi avons-nous l’impression d’être séparés les uns des autres ? Oui, je dirais que la conscience demeure quelque chose de très obscur. »
 

« Je crois dans le pouvoir de l’obsession »
Sa plus grande obsession, elle l’a vécue avec  son roman Les Livres de Jakób. « Huit ans d’obsession, Huit ans à ne lire que des textes ayant trait au XVIIIe siècle, à ne réfléchir qu’aux juifs et à leur culture, à la religion, au mysticisme, aux débuts des Lumières en Europe centrale. » Une sacrée obsession.  Elle y a survécu, dit-elle en riant et le livre est le résultat de cette obsession. Elle considère que l’obsession peut être très positive. Même si elle peut nous détruire, « c’est une manière de concentrer l’énergie sur un point donné. Elle peut être douloureuse, mais aussi éminemment fructueuse. »
 

 
                                              Olga recevant le Booker price

 

Notes et références
[1]
Elle ajoute aussi, pour « une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, représente le franchissement des frontières ».

Voir aussi
* Olga Tokarczuk à Worclaw --

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