Référence : Philippe Djian, Les inéquitables, éditions Gallimard, collection Blanche, 176 pages, avril 2019

 

                  

« Je prend toujours du plaisir à faire des portraits féminin, c'est comme si je mettais les pieds dans un pays étranger. »

 

Inéquitables, selon le titre.
Selon Philippe Djian, son titre vient de "commerce équitable" et du double sens du mot "commerce" qui peut concerner aussi bien les relations humaines que les relations marchandes. « Je me suis dit, confirme l’auteur, que les relations entre mes personnages, leur commerce, donc, étaient terriblement inéquitables. »
Philippe Djian renoue dans ce roman avec un hommage aux femmes qu’on trouve par exemple dans  « Oh… » paru en 2012. 

 

      

 

On ne sait pas trop ce que fait Marc son héros, ce qu’il y a dans ses carnets de notes, en quoi consistent ses activités qui le conduisent au port ou en mer pour une partie de pêche. Mais en réalité, l’important dans ce roman, ce sont les femmes, certes malmenées par la vie et par les hommes, mais qui savent faire face, toujours vaillantes, jamais lassées.

 

Commençons par Diana, sa belle-sœur, veuve de son frère aîné Patrick, mort on ne sait trop dans quelles circonstances quelques mois avant le début de l’histoire. [1] Elle va mal, se remet difficilement d’une nouvelle tentative de suicide. [2] Il y a aussi Charlotte, mal mariée à Serge qui est également l’amant de Diana, Charlotte et son bras estropié dont Djian nous dit que « adolescente, elle avait eu la main arrachée par un train et la douleur était toujours présente, après toutes ces années… » Quant à Brigitte, Marc la trouva un jour inanimée,étranglée par Joël, son mari et frère de Diana. [3]

 

       

« Les plus intenses expériences de ma vie sont venues de l'écriture. »

 

En fait, ces personnages sont interdépendants, et même certains vivent ensemble, comme Diana et Marc. « Tous ont peur de vivre seuls, dit Philippe Djian dans une interview, ils ne supportent pas la solitude, mais tous ont peur de vivre ensemble. »

 

Malgré toutes les avanies qu’elles subissent, ces femmes sont bien les héroïnes de ce roman dégageant un climat fétide où Djian y voit « Une légère odeur de moisissure dans l’air, de végétaux fanés, d’algue morte », climat dégagé parfois par la pluie ou le vent marin. Il y a dans ces portraits qui se dégagent du texte quelque chose de ces bûches qui, devant Marc, se consument lentement « dans leur splendeur, dans leur infinie puissance, dans leur agonie triomphante. »

 

     

 

Entretien avec Philippe Djian –extraits- (Le bulletin Gallimard)

Leurs relations difficiles résultent de la dureté de leur existence…
«  Tous reviennent de loin, tout au moins ceux qui reviennent… La pauvre Diana a vécu un passé assez abominable avec son frère Joël, et son présent n’est pas meilleur puisqu’elle multiplie les tentatives de suicide depuis la mort de Patrick, son mari. Joël se révèle un dangereux psychopathe. Marc, le frère de Patrick, a de graves problèmes sexuels, et d’avoir trouvé des paquets de cocaïne échoués sur la plage va le plonger dans des problèmes bien plus graves… »

 

L’ambiance est plutôt au huis clos…
« Je reconnais avoir mis mes personnages dans des situations très difficiles ! En fait, le personnage principal n’est autre que Patrick, à la fois absent parce qu’il est mort et très présent puisque c’est précisément son absence qui provoque et qui explique tous leurs actes, y compris les plus fous. Sa disparition les a laissés orphelins, elle a totalement redistribué les cartes. »

 

« Ça m’intéresse moins la lumière. »

 

Votre style s’apparente à une espèce de décalage temporel…
« En effet, le premier mot du roman est " Mais ". À partir de là, au lecteur de reconstituer la scène qui a précédé ce " mais " qui introduit tout le reste ! J’ai voulu installer des rapports complexes dans des situations précises, mais non explicitées, tout en semant de petits indices qui vont germer au fil du récit, jusqu’au moment où l’on comprend ce qu’il y avait derrière, qui finit par devenir évident. »

 

Vous faites référence au groupe Sun Kil Moon…
« Sun Kil Moon est un groupe de folk rock dont les morceaux aux textes très longs sont autant d’ambiances, d’histoires de vie, et leur musique accompagne bien ce que vivent mes personnages. C’est la bande-son de ce roman, sa ligne mélodique, et j’incite le lecteur à l’écouter en fond sonore de sa lecture, comme je l’écoutais en fond sonore de son écriture. »

 



Notes et références

[1]  « Son frère lui manquait tellement, parfois. Ça le frappait sans prévenir, comme un poing qui écrasait son cœur puis le relâchait doucement. »
[2]  « Elle n’avait pas réussi à mettre un terme à ses jours, une fois de plus, mais là elle s’en était sortie en mille morceaux, le réveil avait été rude. Elle se regardait nue quelquefois, elle se plantait devant le miroir et restait de longues minutes à se détailler, à observer ce demi-monstre planté devant elle, cette improbable sirène en équilibre sur des jambes déglinguées, tordues, affreuses… »
[3] « Il découvrit Brigitte derrière le canapé, écrit Djian. Elle était bleue. Elle était morte »…

 

Voir mes fiches sur Philippe Djian :
- Philippe Djian, "Impuretés" -- "Oh" (prix Interallié 2012) -- 
- Philippe Djian, Chéri-Chéri -- Sotos -- Dispersez-vous, ralliez-vous –-
- Philippe Djian, À l’aube --

 

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